L’Eglise catholique en Lituanie

Interview du P. Kęstutis SMILGEVIČIUS,
secrétaire général de la Conférence des Evêques de Lituanie

Le pape François se rendra dans les trois Etats baltes fin septembre 2018. Voici un premier article à cette occasion. Cette interview présente l’Eglise catholique en Lituanie, par la voix du secrétaire général de la Conférence des Evêques du pays, Kestutis Smilgevicius.
A la question de savoir quels sont les points forts de cette Eglise catholique en Lituanie, le P. Kestutis commence par répondre par une longue évocation de l’histoire de son pays ! Et par de fréquentes allusions à la précédente visite d’un pape dans le pays : celle de Jean-Paul II en 1993.

L’Eglise catholique en Lituanie. Cathédrale de Vilnius, Lituanie

Cathédrale de Vilnius, Lituanie

La Lituanie est le pays le plus au sud des trois États baltes. Après la première indépendance du pays (1919-1940), le pays a été annexé par l’Union soviétique (1940-1991). Avec la perestroïka et la dissolution de l’Union soviétique, le pays a reconquis son indépendance en 1990-1991. Et il a rejoint l’OTAN en 2004, l’Union européenne la même année. Aujourd’hui, la Lituanie est membre de la zone Schengen et de la zone Euro. Peuplé d’environ 2,9 million d’habitants, le pays, certes moins riche que la moyenne des membres de l’Union européenne, connait un taux de croissance de plus de 3%. La démographie est stabilisée et l’émigration semble se ralentir.

La venue du pape François remet en mémoire la visite historique du pape Jean-Paul II en septembre 1993 (où il a aussi visité les deux autres pays baltes)… pour comprendre le caractère historique de cette visite, il faut se souvenir que le dernier soldat soviétique avait quitté le pays le 31 août 1993, et quelques jours plus tard, c’est le pape qui est venu en visite pastorale dans le pays.. Le pape est resté plusieurs jours, il a vu tout le monde… nous sommes fiers du saint pape Jean-Paul II ici, de nombreuses paroisses portent le nom de Jean-Paul II, sa visite a eu un très grand impact…

La Lituanie est un pays catholique. Même si la christianisation du pays a commencé tardivement, au XIVe siècle, au XVe même pour la partie occidentale du pays… Cette évangélisation du pays ne s’est effectuée que lentement, il a fallu se battre contre le paganisme durant longtemps. Cette évangélisation est due à des évêques célèbres qui ont donné cette impulsion. L’arrivée des jésuites au XVIe siècle a changé beaucoup de choses. Ces jésuites ont ouvert un collège bientôt transformé en université jésuite, vite devenue célèbre.

Les nobles du pays ont par la suite embrassé la Réforme, mais le peuple est resté attaché à ses racines catholiques. Il y avait de nombreuses communautés religieuses florissantes.

Puis le pays a connu une occupation russe assez brutale. On passe rapidement sur les invasions suédoises, russe, etc… Le destin lituanien est un peu semblable à celui de la Pologne, avec la disparition du pays à la fin du XVIIIe siècle. Le pays a été divisé entre la Prusse, la Russie et l’Autriche. Dans la partie occupée par les Russes, même les noms lituaniens ont été supprimés ou interdits.

L’Eglise a été blessée par ces évènements, les monastères ont été fermés, l’occupant russe a ouvert des églises orthodoxes. En 1864, même l’alphabet latin a été interdit. L’Eglise catholique a été opprimée, mais en même temps elle est devenue le symbole de la résistance, le symbole de l’identité nationale stigmatisée et opprimée. Au moment de la première indépendance (1919) l’Eglise s’est reconstruite dans le pays, avec un archevêché à Kaunas, la capitale de ce temps-là. L’occupation par l’Union soviétique en 1940 a constitué un autre traumatisme au cours du XXe siècle… Une partie significative de la population a été déportée en Sibérie. En 1941, le pays (déjà annexé par l’Union soviétique) a été envahi par les armées nazies. Et à nouveau « libéré/occupé » par l’armée rouge en 1944-45. Des guérillas (contre l’annexion soviétique) ont duré jusque dans les années 50. Les Eglises ont été fermées, interdites, mais elles ont résisté, avec des journaux clandestins, des séminaires clandestins, des communautés religieuses clandestines… Les laïcs ont été largement impliqués dans cette résistance.

Au moment de la perestroïka en URSS, et du réveil national de la fin des années 80 dans les pays baltes, « tout le monde » a rejoint ce mouvement national. 1993 marque la fin de l’occupation par l’armée rouge. 1993 est aussi la date de la visite du pape Jean-Paul II.

Il y a eu des martyrs durant ces phases d’oppression, de déportation, de restructuration de l’Eglise.

En 2000, un accord a été signé entre le Saint Siège et l’Etat lituanien (sur un modèle concordataire).

De nouvelles communautés religieuses sont venues dans le pays (dont les Frères de la Communauté de St Jean). Le nonce aux Pays-Bas, Mgr Audrys Juozas Bačkis a été nommé archevêque de Vilnius, il est un membre de la diaspora lituanienne : né en Lituanie, lui avec ses parents sont restés à l’ouest (France puis USA) lors de la seconde guerre mondiale et après…

Après 1991, on a rétabli les structures ecclésiastiques. On a introduit aussi la dévotion au Seigneur de la miséricorde, car Sr Faustina a aussi vécu ici à Vilnius. Il y avait des églises à reconstruire, des bâtiments à restaurer. On s’est engagé dans un processus de restitution des biens ecclésiastiques, et cela continue à ce jour. Le tout dans un esprit de dialogue constructif avec l’Etat, et de liberté religieuse.

Les points positifs, les points forts de notre Eglise

Nous sommes enracinés dans la Tradition, nous sommes une Eglise traditionnelle. Les dévotions traditionnelles sont très vivantes, en particulier pour Noël et Pâques… il y a un lien entre la culture lituanienne et la foi. Le pourcentage des catholiques est d’environ 77%. Certes, ce ne sont pas des pourcentages de pratiquants ! Mais l’appartenance à l’Eglise est très enracinée dans la population.

Il y a d’autres communautés religieuses dans le pays : russes orthodoxes, luthériens, des tatars musulmans… jadis, il y avait beaucoup de juifs dans le pays, jusqu’en 1939, les villes étaient juives. Ils ont presque tous été brutalement éliminés par les nazis.

Le défi principal pour cette Eglise…

est la montée du sécularisme. Sous l’influence de l’occident. Ce processus de sécularisation n’est pas aussi fort qu’à l’Ouest, mais on le ressent ici également, particulièrement parmi les jeunes.

Un autre phénomène à signaler est l’émigration Nous avons sans doute perdu un million de personnes depuis 1990. Les gens, surtout les jeunes et les diplômés partent pour la Belgique, la Suisse, le Royaume-Uni, l’Irlande et la Norvège… il suffit de voir les vols low-cost, ils épousent la géographie de la migration lituanienne !!! (sourire). Nous avons mis en place une pastorale pour ces migrants, pour les suivre dans leur pays de destination. Certains reviendront peut-être. Ce n’est peut-être pas une migration définitive. Il y a eu un pic de départs dans les années 2000-2014, il semblerait que cela se soit calmé depuis L’Etat voudrait inciter les gens à revenir, avec leur savoir-faire et leurs capitaux !

Ce que nous attendons de la visite du pape ?

Le pape devra encourager notre Eglise à approfondir la foi, surtout pour les jeunes. Montrer aussi la beauté de la foi. Apporter un espoir nouveau pour ceux qui sont déçus. Le pape va écouter attentivement. Cette visite est attendue. Le contexte de la visite de Jean-Paul II (1993) est évidemment différent, la Lituanie a changé en 25 ans. Mais cette visite du pape François est nécessaire. Nous sommes à la périphérie de l’Europe… vous savez que le pape aime les périphéries ! La Lituanie est certes un pays catholique, mais nous avons besoin d’encouragements. Cela est certes différent des autres pays visités : la Lettonie, on y trouve moitié moitié catholiques et luthériens, et en Estonie, les catholiques ne sont qu’une infime minorité. Le pape a une autorité morale, il est le garant de la foi.

 

Interview réalisée par Antoine Sondag,
29 août 2018

Sur les pays baltes que le pape visite les 22-25 septembre 2018, on lira aussi la présentation de l’Église catholique en Estonie et celle de l’Église catholique en Lettonie.

 

Aujourd’hui, nous avons sept diocèses et un diocèse « militaire ». On a reconstruit les structures de l’Eglise. Les évêques du pays se réunissent cinq ou six fois l’an en assemblée générale, car le pays n’est pas trop grand. Et nous n’avons que 7 diocèses (plus le diocèse aux armées). Pour des réunions qui durent un jour, ou trois jours. Nous nous réunissions à chaque fois dans une ville différente, cela permet de faire le tour de tous les diocèses. Ce n’est pas toujours Vilnius. Le Conseil Permanent se compose de trois évêques, les réunions se font en général par Skype.
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