Le coronavirus, la Chine et les catholiques

A l’occasion du 24 mai, journée de prière, dans l’Église catholique, avec les catholiques de Chine. Dans le contexte inédit de la pandémie mondiale du coronavirus, que deviennent les catholiques de Chine ? Dans cet article, on trouvera moins de renseignements inédits ou confidentiels qu’une réflexion sur la méthode que nous utilisons lorsque nous traitons cette question.

Xi-Jinping_Pape-François. Le coronavirus, la Chine et les catholiques

Xi Jinping, président chinois, et le pape François

La Chine, leçons du coronavirus ?

Personne n’a oublié que le virus qui affecte le monde entier est parti de Wuhan dans la province du Hubei en Chine. La Chine est critiquée par beaucoup pour sa gestion de cette affaire : le manque de transparence, les difficultés imposées aux journalistes qui veulent s’informer, les tentatives d’étouffer les premiers lanceurs d’alerte, les pressions exercées sur l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé), la manière autoritaire de gérer la pandémie, en particulier pour les habitants du Hubei et/ou de la ville de Wuhan, etc…

Depuis la Chine tente de regagner le terrain perdu par une politique de dons qui viennent très à propos : masques, tests… que ce soit le fait du gouvernement chinois ou de milliardaires chinois comme Jack Ma (fondateur d’Ali Baba) … La Chine se présente comme un modèle de gouvernement responsable pour la gestion d’une telle pandémie : à la fois en se présentant comme un exemple, et en critiquant ou en faisant critiquer d’autres gouvernements (dont celui de la France par l’intermédiaire de son ambassadeur à Paris, qui a d’ailleurs été rappelé à l’ordre par le Quai d’Orsay !) …

Toutes ces critiques et d’autres sont instrumentalisées par l’administration Trump des USA et cela évidemment ne leur accorde pas plus de poids, c’est tout le contraire. On soupçonne que ces critiques entrent dans le cadre de la grande confrontation commerciale entre les USA et la Chine. Et que ce n’est pas sans arrière-pensée que toute cette argumentation est soulevée !

Ceux qui s’intéressent à ces questions pourront s’informer auprès de centres de recherche indépendants, comme celui de l’institut français des relations internationales.

Si le mode de gestion de la pandémie par l’État chinois peut être qualifié d’autoritaire, on n’oubliera pas qu’il existe d’autres manières de gérer la crise sanitaire, et elles se sont révélées tout aussi efficaces, par exemple en Corée du sud ou à Taïwan. Mais Taïwan a du mal à se faire entendre, le pays n’est pas membre de l’OMS et la Chine prétend qu’il ne s’agit que d’une province chinoise. Gestion autoritaire versus gestion fondée sur la transparence et la confiance des populations.

Quel lien avec notre sujet, les catholiques de Chine ? nous vivons dans un contexte marqué par une oscillation, y compris en France, entre une admiration béate devant les réussites de la Chine, et un China bashing inspiré parfois mais pas toujours par une admiration pour Trump !

L’accord provisoire entre le gouvernement chinois et le Saint-Siège du 22 septembre 2018

Le pape François a voulu mettre fin à des situations difficiles pour certains catholiques de Chine. Il a finalement trouvé un accord avec le gouvernement de Chine. Les 7 évêques qui avaient été ordonnés sans investiture papale ont été réintégrés dans la communion ecclésiale. Les prêtres dits « clandestins » peuvent se faire enregistrer auprès des autorités… Cet accord vient en quelque sorte parachever ce qui était pressenti, appelé de ses vœux et préparé par la Lettre historique aux catholiques de Chine de 2007, écrite par le pape Benoît XVI.

Il n’y a donc plus d’Église schismatique en Chine (au sens technique du terme). L’Église est réunifiée. Tous les évêques vivent en communion avec le pape. Il reste des questions à régler, en leur temps : rétablissement des relations diplomatiques entre la Chine et le St-Siège, redéfinition des frontières des diocèses dans le pays, un voyage du pape en Chine, etc. Et peut-être plus important : il faudrait que l’Église catholique trouve ou retrouve un dynamisme pastoral en Chine, comparable aux années 90, après l’ouverture du régime. Il semblerait que l’Église catholique soit aujourd’hui à la peine dans le pays.

Le biais cognitif des catholiques de France lorsqu’ils abordent la situation des catholiques chinois

Beaucoup de catholiques de France ont interprété les « deux Églises » en Chine -l’officielle et la clandestine – au travers des catégories très françaises de résistant versus collaborateur. C’est oublier que les membres, y compris les évêques, de l’Église officielle ont tous été persécutés à l’époque de la révolution culturelle, tous avaient été en camps de rééducation (la plupart sont évidemment morts aujourd’hui) … ils n’ont accepté la situation d’une Église « officielle » ou d’évêque « officiel » que pour sauver ce qui pouvait l’être par la suite… Pour pouvoir mettre l’Église de Chine à l’heure de Vatican II, pour importer des livres, faire venir des enseignants pour les séminaires et noviciats de religieuses… Pour éviter de vivre dans un ghetto, pour affronter les défis de la modernisation de la Chine, de l’enrichissement phénoménal de sa population (une partie d’entre elle !), les défis de l’urbanisation, ce qu’on nomme souvent en France la sécularisation !

Certains à l’extérieur des frontières de la Chine incitent les catholiques chinois à une attitude de confrontation avec les autorités, certains parlent de se préparer au martyre. C’est une posture héroïque ! Parmi eux, beaucoup s’appuient sur les déclarations du Cardinal Joseph Zen, ancien archevêque de Hong-Kong. Il est évidemment lui-même chinois, il a été très actif dans la revendication démocratique qui a agité et continue d’agiter l’ancienne colonie britannique. On remarquera d’ailleurs que les catholiques (moins de 5% des habitants de Hong-Kong) sont très actifs dans ces manifestations. Mais le Cardinal Zen n’a jamais vécu en Chine communiste, sa famille a cherché refuge à Hong-Kong à 1949. Lui aussi parle de l’extérieur ! Derrière la véhémence des discours, et le côté apparemment très chrétien de l’appel au martyre, on pressent que c’est moins l’amour de la vérité qui inspire ces nouveaux croisés que l’exécration des dirigeants de Pékin ! Un discours de méfiance, de ressentiment, de haine parfois qui ne sonne pas très chrétien !

L’instrumentalisation de la situation des catholiques de Chine en vue d’objectifs très différents

Dans les milieux d’Église, aux USA, à Rome et maintenant aussi en France, certains critiquent les orientations du pape François à l’égard de l’Église de Chine, moins par intérêt pour la Chine que par volonté de critiquer les orientations du pape.

Les catholiques de Chine ne sont qu’un moyen de critiquer le pape en général, accusé de brader l’héritage, de s’éloigner de la saine doctrine (en Chine, mais aussi par Amoris Laetitia, ou Querida Amazonia…), bref un pape qui n’est pas à la hauteur de la tâche.

C’est la thèse que soutient le Père Benoît Vermander dans un article paru dans la Civilta Cattolica en mars 2020 ! Benoît Vermander est un jésuite sinologue, enseignant à Hong-Kong et à l’Université Fudan à Shanghaï. Il écrit ceci : « les groupes qui soutiennent cette rhétorique (contre le pape François) n’hésitent pas à la diffuser en Chine. Si bien que l’Église en Chine, déjà suffisamment éprouvée, devient l’enjeu d’une partie de billard féroce, où l’on prend la boule ’Chine’ pour mieux frapper la boule ’Rome’ ».

Ces détracteurs de la politique vaticane « sur-politisent » les enjeux. « En se consacrant à de tels discours ’héroïques’, ils subordonnent le bien des chrétiens à l’objectif non reconnu de secouer l’État chinois et le Parti Communiste Chinois, impliquant ainsi les chrétiens chinois dans une lutte qui n’est pas la leur ». « Les catholiques de Chine portent leur croix et continueront de la porter, sans avoir à chercher le martyre à tout prix. Il est profondément irresponsable de vouloir les amener sur la voie de la confrontation directe. »

En France, on reconnaitra cette posture chez certains journalistes catholiques réticents vis-à-vis du pape François, dans certains médias chrétiens, certaines maisons d’édition, avec un relais auprès peut-être de certaines congrégations religieuses. Un exemple typique de cette posture se trouve dans le livre d’Yves Chiron, La longue marche des catholiques de Chine, Artège, 2019

24 mai : journée mondiale de prière avec les catholiques de Chine. Ne nous laissons pas détourner de notre sympathie pour ce peuple et son Église !

Antoine Sondag,
7 mai 2020 (confiné à Villejuif)

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