Amazonie, Terra Nova !

Le synode spécial pour l’Amazonie a appelé à une présence accrue des religieux et religieuses en Amazonie.  L’exhortation apostolique Chère Amazonie reprenait cette demande dans le « rêve ecclésial » du Pape François. Le jour-même de la parution de l’exhortation, le 2 février 2020, les Auxiliaires du Sacerdoce commençaient une nouvelle mission en Amazonie. Elles nous relatent leurs premiers pas à Itapiranga.

Amazonie_Eglise

Le 2 février dernier, Rose, Jaci et moi avons commencé une nouvelle mission en Amazonie, prélature d’Itacoatiara, État d’Amazonas. Comme convenu avec l’évêque, Dom José Ionilton, nous sommes restées trois semaines à Itacoatiara pour pouvoir assister à l’assemblée diocésaine et permettre que les travaux de rafraîchissement de notre future maison soient terminés.

Enfin, le jour tant attendu de notre emménagement est arrivé ! Les 22 et 23 février, nous avons participé aux assemblées paroissiales d’Itapiranga et Silves, les deux lieux où l’évêque nous a demandé d’apporter notre soutien pastoral, situés à environ une heure et demi/deux heures de route d’Itacoatiara. Le 23 au soir, durant la messe, l’évêque nous a officiellement « installées », mettant en valeur les compétences d’infirmière de Rose et de « théologiennes » de Jaci et moi – « elles ont fait les mêmes études que nous les prêtres », a-t-il insisté.

C’est ainsi que nous habitons à Itapiranga depuis un mois, dans la maison d’un missionnaire canadien, le Père Omar Dixon. Il se trouve que ce prêtre est décédé en mai dernier (2019). C’était un homme d’écoute et de conseil qui avait toujours sa porte ouverte, engagé auprès des plus pauvres, et un formateur-né. Serons-nous à la hauteur de cet homme ? En tout cas, pour l’instant, le fait de le « remplacer » nous ouvre bien des portes et des cœurs, notamment ceux de la communauté chrétienne du quartier, qui a pour patron Saint Antoine. Nous avons déjà visité quasiment toutes les maisons. Il faut dire que trois ou quatre familles de pêcheurs ont fondé le quartier, et puis elles se sont agrandies. Tout le monde est cousin !

Le « quartier » s’appelle Terra Nova. Il est situé en bord de fleuve. À vrai dire, c’est presque la campagne. Sur la route qui passe devant chez nous, nous croisons des vautours, des chiens, des poules… Dans notre jardin, il y a des caméléons et des mygales. Notre maison est plus confortable que la majorité. Elle est spacieuse et est en briques, non pas en bois. Elle a un toit en tôle ondulée.

En plus de la chaleur et des moustiques, notre grand défi du moment est l’adaptation aux conditions de vie. L’eau courante arrive de manière aléatoire. Il y a de temps en temps des coupures d’électricité. Impossible d’avoir le wifi. Le centre-ville est à 15 minutes à pied – mais très vite les gens ont pris l’habitude de nous offrir de nous prendre en stop sur leur moto (il y a très peu de voitures ici). « En ville », il y a une multitude de petits magasins, non déclarés, qui vendent quasiment la même chose. Mais on ne trouve presque pas de fruits et légumes, même les jours de marché.

elles ont fait les mêmes études que nous les prêtres

Côté mission, l’évêque nous a demandé de contribuer à la formation permanente des adultes, d’appuyer les « pastorales sociales » et de prendre le temps de la présence aux gens du quartier et aux communautés que nous irons visiter. Par quel bout commencer ? Quelles sont les priorités ? Si les deux curés, Père André et Père Danilo nous ont chaleureusement accueillies, ils sont eux-mêmes pris par la célébration de messes dans leurs nombreuses communautés, par les difficultés financières et d’organisation. D’autre part, malgré notre soif d’agir, nous percevons qu’il nous faut prendre le temps de connaitre les personnes, les mentalités, entrer dans la culture « cabocla »[1] .

Cela ne nous a pas empêchées de nous lancer dans quelques actions concrètes. Rose a commencé à réunir les jeunes du quartier, et est allée à Silves pour rencontrer l’équipe de la pastorale de la santé ; Jaci a commencé à donner son soutien aux catéchistes ; avec un membre de la pastorale carcérale, j’ai fait une première visite au poste de police, où il y a une vingtaine de prisonniers. Nous avons toutes les trois animé une journée de récollection paroissiale. Mais les plus « abandonnées » sont les communautés « de la route » et du fleuve. Si nous voulons visiter les communautés de la route, il nous faudra une voiture car il n’y a pas de transports en commun. Côté fleuve, c’est un autre défi : toute visite a un coût élevé pour la paroisse en raison du transport car il faut payer la location de l’embarcation, le pilote et le carburant. Plus le groupe est nombreux, plus le bateau doit être grand, et plus il est cher !

D’autre part, sur le territoire de la paroisse d’Itapiranga, il n’y a pas d’activités économiques en dehors de la pêche, du commerce, du service public et de l’exploitation du gaz qui vient de commencer à quelques kilomètres de la ville. Pas de facultés non plus. Il n’y a aucune coopérative en dehors des taxis. Nous rencontrons des adolescentes avec des bébés, et nous savons qu’il y a des cas d’inceste dans les communautés isolées. On parle de prostitution de mineurs. Cela a pour conséquence la propagation de MST et du sida. Le trafic de drogue est aussi présent. Côté politiques publiques, ce n’est pas très brillant. Les rues sont criblées de trous, elles sont mal éclairées la nuit. Dans certaines écoles, il y a 35 élèves par classe, sans air climatisé. Pour toucher les allocations et indemnités de chômage, il faut aller à Silves, à une demi-heure en moto, car ici, l’organisme payeur a fermé. Cela nous appelle à bien des actions concrètes, mais nous ne pourrons rien faire seules et nous ne connaissons pas encore suffisamment les gens pour savoir avec qui collaborer.

Nous avons décidé de profiter du confinement imposé par le coronavirus pour lire chaque jour ensemble l’exhortation apostolique « Amazonie bien-aimée ». C’est l’occasion de réfléchir sur la situation de l’Amazonie, telle que les gens d’ici nous la font découvrir, parfois en contradiction avec ce que l’on peut penser de l’extérieur.

Nous sommes reconnaissantes de la confiance que nous accorde l’évêque, de l’accueil chaleureux reçu partout où nous allons, des premières amitiés, de la beauté de la nature et de la liberté qui nous est donnée d’agir comme bon nous semble. Nous voulons accueillir ces lumières pour être à notre tour lumières.

                                                                                                                                                             Anne Genolini, AS
Texte publié dans le Bulletin 44 de l’association Du Levain pour Demain

 

[1] Ici, il n’y a pas d’indiens à proprement parler, mais seulement des métis que l’on appelle caboclos.
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