Équateur : solidaires des appauvris

C’est une nouveauté : les évêques de plusieurs diocèses d’Équateur ont réagi au soulèvement populaire en cours. Ils reconnaissent que la situation de pauvreté va croissant et qu’elle lèse injustement une immense majorité d’Équatoriens. Dans ce même sens, les coordinateurs des Communautés ecclésiales de base de « La Casita », réunis dans la communauté « Abel Tacuri », ont rendu public un communiqué de solidarité avec les revendications exprimées par les leaders du soulèvement. 

Manifestation à Quito, en Équateur.

Manifestation à Quito, en Équateur.

 

Pour comprendre ce qui se passe, voici une brève description des événements actuels…

Depuis deux ans et demi, le gouvernement mène une politique néolibérale, suivant la Lettre d’intention signée avec le FMI. La conséquence en est l’appauvrissement croissant des secteurs populaires. Il est à noter que le président Lenín Moreno a été élu pour continuer ce qu’avait commencé le gouvernement précédent de Rafael Correa : il a de fait conclu une alliance avec l’extrême-droite. Les plus pauvres parmi les pauvres sont les Indigènes, qui représentent 35% de la population, avec les Noirs, 10 à 12%.

Il y a une dizaine de jours, le président a signé un décret supprimant les subventions sur l’essence, ce qui la faisait passer de 1.48 dollar le gallon à 2,39 dollars. En découlait une hausse générale de tous les prix. Les secteurs populaires sont les plus touchés.

Les Indiens, unis dans la CONAIE (Confédération des Nationalités Indiennes d’Équateur) et représentés par le parti politique (très minoritaire à l’Assemblée nationale) Pachakutik, ont décidé d’un soulèvement pour le retrait du décret. Un soulèvement général, massif et pacifique, de plus d’une semaine. D’autres groupes se sont solidarisés avec eux : travailleurs, jeunes, assemblées citoyennes, parti de la Révolution citoyenne (39 députés sur 130) de Rafael Correa (qui est en-dehors du pays), mais sans arborer de drapeau de parti.

Il y a quelques jours, le président a décrété l’état d’exception (la police et les militaires ont toute autorisation pour intervenir) et le couvre-feu (interdiction de se rassembler, d’approcher des bâtiments gouvernementaux, de circuler la nuit…). La brutalité policière et militaire a ôté la vie à au moins huit personnes (Indiens et jeunes, et parfois à balle réelle) et l’on parle de disparus, comme de dizaines de blessés.

Les moyens de communication, qui sont entre les mains des puissants, taisent et déforment la situation… Les déclarations ecclésiales (Conférence épiscopale, plusieurs évêques, quelques universités catholiques, quelques congrégations religieuses…) sont positives, mais encore tièdes dans leur appel à la solidarité.

Le communiqué des Communautés ecclésiales de base « Abel Tacuri » de La Casita (lire ci-dessous), à Guayaquil est le fruit d’un long parcours depuis que les évêques catholiques latino-américains ont découvert que « la pauvreté n’est pas une étape fortuite, mais le résultat de situations et de structures économiques, sociales et politiques… (qui) engendrent au plan international des riches toujours plus riches aux dépens de pauvres toujours plus pauvres… Ils sont les victimes d’une situation objective gravement injuste, devant laquelle la neutralité n’est pas de mise ». Il y a 40 ans déjà, lorsque les évêques latino-américains étaient réunis à Puebla, au Mexique, en 1979, ils dénonçaient dans le Document final, la pauvreté comme une « situation de péché social » confirmant ainsi ce qu’ils avaient affirmé dix ans plus tôt lors de leur rencontre à Medellin, en Colombie : « les pauvres sont des appauvris ».

Il est bon de rappeler ce que disait le pape Jean-Paul II durant sa visite au Brésil en 1980 : « Ne dites pas que c’est la volonté de Dieu que vous restiez dans une situation de pauvreté, de maladie, de logement insalubre, qui est souvent contraire à la dignité de la personne humaine. Ne dites pas : Dieu le veut… Dieu veut exactement le contraire : que chaque homme atteigne, de la meilleure façon possible, sa pleine stature humaine. »

Et il continuait : « L’Église des pauvres s’adresse à tous : Aux pauvres… : Il faut faire tout ce qui est licite pour s’assurer, pour soi et pour les siens ce qui est nécessaire à la vie et à la subsistance… À ceux qui vivent dans un bien-être relatif : … Partagez ce que vous avez de façon planifiée et systématique… À ceux qui ont en surabondance : … Rappelez-vous que la valeur de l’homme ne se mesure pas à ce qu’il « a », mais à ce qu’il « est ». Rappelez-vous que certains de ces pauvres et inconnus sont peut-être beaucoup plus hommes que vous. »

Si nous nous disons à la suite de Jésus, faisons comme lui le choix des pauvres, autrement dit, faisons nôtres leur cause et leur combat. Le soulèvement populaire actuel est une bonne occasion pour cela.

 

Pierre Riouffrait, diocèse du Puy
Fidei donum en Équateur
11 octobre 2019
(Traduction Annie Josse)

 

À noter que deux jours après l’écriture de cet article, le gouvernement équatorien et le mouvement indigène ont trouvé un accord de sortie de crise, grâce au retrait du décret supprimant les subventions au carburant.

On peut lire également le communiqué de la Fondation Peuple indien d’Équateur, envoyée par Pierre Riouffrait, et l’analyse de Guillaume Long, chercheur associé à l’IRIS et homme politique.

 

Communiqué des Communautés ecclésiales de base « Abel Tacuri » de La Casita, Guayaquil

 

Réalité actuelle : Nous vivons des moments de grande violence à travers le pays. La première violence vient d’un gouvernement qui favorise les intérêts des plus aisés. La récente hausse du prix de l’essence provoque une augmentation généralisée des prix qui frappe durement les majorités pauvres du pays et accroît les inégalités sociales. C’est la raison principale du soulèvement des Indiens et du mécontentement à travers tout le pays.

Les manifestations actuelles, en particulier des Indiens et des jeunes, visent à exiger leur droit à une vie digne, à une plus grande justice sociale et à la souveraineté nationale. L’attitude des médias est de taire tant la réalité de la crise nationale et l’ampleur des protestations, que sa cause qui est un programme néolibéral mené par le FMI (Fonds monétaire international).

Réflexion chrétienne : Nous sommes globalement d’accord avec le communiqué de la Conférence épiscopale qui lance trois appels : « à la paix, à la justice et au dialogue ».
Avec le pape François, nous disons : « Non à l’économie de l’exclusion, non à l’idolâtrie de l’argent, non à l’inégalité qui génère la violence ! » (La joie de l’Évangile, 53-60). C’est pour cela, affirmait le pape François aux jeunes en juin 2013, que « l’engagement politique est une obligation pour un chrétien… C’est l’une des plus hautes formes de charité, parce qu’elle vise le bien commun ».

Nous nous identifions au cantique de Marie, la mère de Jésus, qui nous décrit l’avènement du Règne de Dieu : « Il disperse les superbes. Il renverse les puissants de leurs trônes, il élève les humbles. Il comble de biens les affamés, renvoie les riches les mains vides ».

Propositions d’action :
– Nous faisons nôtres les luttes des Indiens, des jeunes et de tous ceux qui exigent justice, respect et dignité.
– Nous demandons la solidarité de tous ceux qui sont lésés par le système de gouvernement actuel afin de créer un pays plus équitable, plus juste et plus inclusif.
– Nous exigeons la libération immédiate de Jorge Glas.
– Nous suggérons à tous les chrétiens une veillée de prière dans les espaces qui nous sembleront les plus appropriés.

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