Dilma Rousseff à Paris

« Le néo-fascisme a été installé au Brésil pour mettre en œuvre les réformes néolibérales »

À ceux qui veulent savoir pourquoi le gouvernement qui s’est installé au Brésil en janvier est néo-fasciste et non fasciste, l’ancienne présidente Dilma Rousseff explique : « Contrairement au fascisme, il n’est pas nationaliste. L’ouverture de l’Amazonie a pour objectif de céder l’exploitation des ressources minières à des sociétés américaines. Tout le projet de Bolsonaro est un projet de destruction de la souveraineté, donnant lieu à des réformes néolibérales ».
Les Français et les Brésiliens qui ont rempli les grandes salles de Paris la semaine dernière pour l’entendre ont pu comprendre un peu mieux le processus brutal de destruction de la démocratie et de la souveraineté en cours au Brésil.
Invitée d’honneur à la fête annuelle du Parti communiste français, la Fête de l’Humanité, et reçue à la Sorbonne par le doyen de la Faculté des Lettres, Alain Tallon, comme « la plus illustre citoyenne brésilienne », l’ancienne présidente Dilma Rousseff a brillé à Paris.

Dilma Roussef lors de sa conférence à l'IRIS

Dilma Roussef lors de sa conférence à l’IRIS

 

Cependant, ni à la conférence de la Sorbonne, ni à l’IRIS – Institut de Relations Internationales et Stratégiques – Dilma Rousseff n’a mentionné les révélations faites par Edward Snowden en 2013, à travers le grand journaliste américain Glenn Greenwald. Le monde entier avait alors appris que l’une des personnes les plus surveillées par la NSA (Agence Nationale de Sécurité) était la présidente du Brésil, nommément citée.  Dilma Rousseff partageait le podium avec Angela Merkel. Et la société qui intéressait le plus les agents espions de la NSA était Petrobras.
Si l’ancienne présidente avait rappelé à ses auditeurs français et brésiliens les réseaux d’espionnage mis en place par la NSA, l’ensemble du processus de détérioration de la démocratie brésilienne depuis sa réélection en 2014 aurait été encore plus clair. Les révélations de Snowden pointent l’intérêt majeur des États-Unis : le pétrole.
Et elles éclairent ce qui s’est passé ensuite : la vente d’Embraer à Boeing, son principal concurrent et celle d’une partie de Petrobras, qui dans les gouvernements du PT est passé de la 19ème à la 7ème place des compagnies pétrolières dans le monde. Cela a été possible parce que des investissements ont été faits dans l’exploration et la prospection menant à la découverte de l’une des plus grandes réserves du monde occidental, comme l’a rappelé l’ancienne présidente.

« Nous étudions l’influence du pré-sel sur le putsch de ma destitution, sur l’emprisonnement de Lula ainsi que sur l’arrivée au pouvoir d’une personne d’extrême droite », a déclaré Dilma Rousseff à la fin de sa conférence à l’IRIS, où elle a expliqué le processus d’installation d’un gouvernement d’extrême droite pour appliquer au Brésil les réformes néolibérales avec leurs processus de précarisation du travail et de privatisation des entreprises publiques.

La vérité, première victime

La conférence de Dilma Rousseff dans l’amphithéâtre de l’IRIS portait sur : « La crise systémique mondiale : quelles perspectives démocratiques ? ». Elle y a rappelé le processus qui a conduit à quatre reprises le PT au gouvernement fédéral et comment ces gouvernements ont servi de barrière au projet néolibéral.
Pour mettre en place leur projet, les intéressés ont compris qu’il fallait destituer la présidente, arrêter Lula, l’empêcher de se présenter à la présidence et de parler à la presse.

« Pour ce faire, tout le monde s’est uni dans un coup d’État déguisé en destitution. Peu de gens le savent, mais au cours des six premiers mois de mon deuxième mandat, 16 demandes de destitution avaient été faites. Nos quatre gouvernements constituaient une barrière à toutes les mesures néolibérales qui sont actuellement mises en œuvre », a déclaré Dilma Rousseff, qui a expliqué comment le Brésil avait retardé le processus du néolibéralisme, le seul projet politique de néofascisme mis en place par la victoire d’un candidat qui a fini par détruire le système politique des partis de droite et de centre-droit.

La première victime des guerres hybrides et des conflits politiques radicalisés […], c’est la vérité

« Ceux qui soutenaient Bolsonaro pensaient qu’il était possible de faire un coup d’État et de contrôler le processus avec les partis politiques du centre et de la droite. Mais ils avaient tort. Ils avaient échoué aux élections car la population rejetait leur projet néolibéral ».

À la Sorbonne – où un public enthousiaste a interrompu la conférence plusieurs fois pour applaudir – l’ancienne présidente a conclu sa conférence en citant Guimarães Rosa, qui a écrit : « Vivre est très dangereux ».
« Et il faut beaucoup de courage », a ajouté Dilma Rousseff.

Autres extraits de la conférence IRIS :

« Deux ans après l’arrivée au pouvoir du président Lula, en 2005, nous avons payé le FMI qui, soit dit en passant, ne voulait rien recevoir car il préférait pouvoir contrôler l’économie du pays. Nous avons accumulé 380 milliards de réserves ».

« Le Brésil a beaucoup de fantômes dans sa boîte noire, chaque pays a les siens. Les nôtres viennent de 350 ans d’esclavage et de 21 ans de dictature militaire avec une transition qui a construit un processus de mon point de vue erroné, l’Amnistie réciproque. Mais c’était ce qui était possible, ce qui pouvait être fait, selon ceux qui y ont participé à l’époque. Des situations de haine, d’intolérance, de recherche d’un bouc émissaire en ont découlé ».

Selon la présidente, aux États-Unis, ce bouc émissaire est le Mexicain et non Wall Street.

« Au Brésil, les médias oligarchiques, dirigés par Rede Globo, ont systématiquement investi contre nos gouvernements. Nous avons toujours gagné dans une situation extrêmement tendue. J’ai gagné en 2014 parce que le Brésil avait un taux de chômage de 4,6% ».

« Au Brésil, ils ont inventé que nous avions détruit Petrobras. Après la découverte du pré-sel, et même avant, la trésorerie moyenne de Petrobras était de 20 milliards de dollars. Les liquidités de Petrobras ont été à un moment donné le double de celles de la plus grande compagnie pétrolière, Exxon ».

« Le gouvernement actuel est profondément conservateur, réactionnaire en termes de valeurs, politique culturelle, sur les questions identitaires (femmes, noirs, LGBT). C’est un gouvernement qui défend la torture et l’assassinat politique et qui affirme que la dictature n’a pas existé, que ce qui s’est produit n’était qu’une vague de nettoyage du Brésil dont le seul défaut est de n’avoir pas tué davantage. Ils ont torturé mais pas assez tué ».

« Cette révision de l’histoire se fait sur un substrat néolibéral, qui n’avait pas de tradition néo-fasciste auparavant. Mais ils ont adopté le néo-fascisme pour faire approuver les réformes ».

« Tous les secteurs, sans exception, ont supposé qu’ils contrôleraient Bolsonaro, le modéreraient, et que les réformes se dérouleraient sans heurts. Cependant, il ne possède pas le gène de la modération. Certains secteurs sont extrêmement mal à l’aise face aux déclarations de Bolsonaro ; sur Michelle Bachelet et Brigitte Macron ou sur le père du président de l’OAB[1], par exemple. Il profère des énormités mais il leur est utile car ils pensent qu’il peut faire passer la réforme des retraites, vendre une partie de Petrobras, ou Embraer à son principal concurrent, Boeing ».

« Les personnes perdent la Bolsa Familia[2], le programme Minha Casa Minha Vida[3], le budget de l’éducation est réduit, l’inspection de l’environnement est supprimée, les ressources pour la réglementation des terres indigènes sont diminuées, la FUNAI[4] devient quelque chose dont personne ne veut. Pourquoi ? Parce que la politique de l’Indien implique d’avoir une vision de la nation. Ce n’est pas seulement la vente de Petrobras qui est un crime contre l’humanité, mais c’est aussi ce qu’ils font avec l’Amazonie ».

 

Leneide Duarte-Plon[5],
Carta Maior[6]

Lire l’article en portugais

 

Traduction Maria Mesquita-Castro et Annie Josse
Octobre 2019

(Les notes de fin ont été ajoutées par les traductrices)
[1] Ordre des avocats du Brésil.
[2] « Panier des familles », programme social destiné à lutter contre la pauvreté et mis en place durant la présidence de Lula. « Programme conditionnel » dans lequel le versement d'aides est conditionné à certaines obligations d'éducation, il fait partie du programme plus général « Fome Zero » (Faim Zéro).
[3] « Ma Maison Ma Vie », programme mis en place pendant la présidence de Lula, pour faciliter l’accès à la propriété des familles modestes.
[4] Fondation nationale de l'Indien, créée pour « protéger leur vie, leurs terres et leurs droits fondamentaux ».
[5] Leneide Duarte-Plon, journaliste et écrivaine brésilienne, est notamment l’auteure, avec Clarisse Meireles, de : Um homem torturado : Nos passos de frei Tito de Alencar [Un homme torturé : sur les traces de frère Tito de Alencar]
[6]Carta Maior est le portail de la gauche brésilienne, créé à l’occasion du Forum social mondial de Porto Alegre en 2001.
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