G. Longueville, martyr par haine de la justice sociale

Guilhem Dargnies, journaliste de Famille Chrétienne, a écrit un article sur Gabriel Longueville, béatifié ce 27 avril à La Rioja (Argentine) en même temps que son évêque, son ami prêtre religieux et un laïc de sa paroisse. 

Gabriel Longueville, martyr par haine de la justice sociale. Photo de Mgr Angelelli, Gabriel Longueville, Carlos Murias et Wenceslao.

Les quatre martyrs « en haine de la justice sociale »

 

Père Gabriel Longueville : martyr de la dictature argentine

Béatifié ce 27 avril avec les trois autres « martyrs de La Rioja » (Argentine), le prêtre français est mort assassiné pour avoir contribué à déployer une pastorale inspirée de l’œuvre des Pères conciliaires.

Le 18 juillet 1976, deux hommes descendus d’une voiture sans immatriculation se présentent auprès des prêtres de la paroisse. « Carlos Murias ? Venez avec nous. Nous devons vous interroger. » « Hors de question que tu y ailles seul. Je t’accompagne », intervient le curé, le Père Gabriel Longueville, un missionnaire français. Quarante-huit heures plus tard, des cheminots découvrent les cadavres criblés de balles des deux prêtres. Les jours suivants, Wenceslas, un membre du Mouvement rural chrétien, est assassiné devant femme et enfants. Puis on élimine leur évêque, Mgr Enrique Angelelli, dans un simulacre d’accident de voiture. Béatifiés ce 27 avril en Argentine, ces quatre martyrs sont du nombre des dix mille fusillés de la dictature de Jorge Rafael Videla, auxquels il faut ajouter trente mille disparus, neuf mille prisonniers politiques et un million d’exilés. Retour en Ardèche, deux décennies plus tôt. C’est là, en juin 1957, que Gabriel est ordonné prêtre. Aîné des garçons d’une fratrie de huit, il est professeur au petit séminaire. Lorsque germe en lui l’inspiration de partir comme prêtre fidei donum en Amérique latine, l’évêque de Viviers accepte de l’envoyer.

Après un passage au Mexique en 1970, sa première année en Argentine est un échec : il ne s’entend pas avec l’évêque du diocèse de Corrientes (nord-est du pays) qui l’accueille. Il rencontre alors un autre évêque, celui de La Rioja (nord-ouest), Mgr Angelelli, un pasteur proche de ses aspirations missionnaires. Entre Gabriel et lui naît une estime propre à ceux qui partagent une même vision, en ligne avec le concile Vatican II et avec sa mise en œuvre pastorale pour l’Amérique latine, précisée dans le cadre de la conférence de Medellín de 1968. Un temps nommé vicaire auprès des paroissiens de Saint-Sauveur de Chamical, Gabriel Longueville devient leur curé à partir de 1972.

Réaliser une action vraie, intelligente et profonde dans la société et qui ne débouche pas sur la politique, c’est impossible. 

Le prêtre français est d’abord contrarié par la dévotion populaire des paysans, empreinte de superstition. Mais à l’école de Mgr Angelelli, il découvre combien Dieu se révèle dans les pauvres. Il convertit son regard et se met au rythme « peuple », comme le remarquent les auteurs de La Force des pauvres. Indispensable pour ouvrir ses paroissiens au mystère de la foi, cette attitude l’est peut-être aussi pour déployer ce que le Seigneur a déposé au fond de son cœur de prêtre. À savoir, d’abord, une sensibilité artistique et un talent de sculpteur sur bois – il est l’auteur d’un magnifique chemin de croix. Ensuite, un profond sens de l’humain – pour être proche des paroissiens, il travaille comme menuisier deux jours par semaine, se rend chez eux à vélo, prend le maté, plaisante, réalise quelques travaux de bricolage à domicile, et célèbre l’eucharistie chez ceux qui ne peuvent se déplacer. Enfin, une certaine idée de l’engagement : « Il prenait des risques au nom de la justice évangélique. Il dénonçait les injustices avec tactique. Et calmement », se rappelait feu Sœur Cabás, qui l’a bien connu (1). Il faut dire qu’à La Rioja, quelques riches propriétaires exploitent ceux qui n’ont rien, au nombre desquels figurent les paroissiens de Chamical.

Rendre sa dignité à l’homme

Suivant l’inspiration du Concile, Gabriel estime que la mission de pasteur dépasse la seule conduite des âmes : elle consiste à mettre en œuvre une pastorale qui rende sa dignité à l’homme, dès ici-bas, ce qui n’exonère pas d’une forme d’engagement politique. « Essayez de réaliser une action qui soit vraie, intelligente et profonde dans la société et qui ne débouche pas sur la politique. C’est impossible », écrit-il à l’évêque de Viviers, en 1971.

À l’instar de Mgr Angelelli, il se montre solidaire du Mouvement des prêtres pour le tiers-monde, un courant pastoral immédiatement antérieur à la théologie de la libération et à son expression argentine, la théologie du peuple, après le message lancé en décembre 1967 par les dix-huit évêques du tiers-monde – dont le Brésilien Dom Hélder Câmara. En toute logique, le prêtre français soutient la pastorale diocésaine quand il est question d’exproprier certaines terres non valorisées, de mettre en place une coopérative destinée à fournir aux paysans des moyens de subvenir dignement à leurs besoins, ou bien de monter un syndicat pour la défense de leurs droits. Sans surprise, cet activisme menace les intérêts des familles possédantes. Ces dernières calomnient Mgr Angelelli et ses « prêtres étrangers ». Elles veulent démettre le prélat de ses fonctions. L’évêque de La Rioja prétend les excommunier et remet finalement sa démission au pape. Paul VI charge le vice-président de la conférence épiscopale argentine, Mgr Vicente Zazpe, d’arbitrer ce conflit. Celui-ci est finalement tranché en faveur de Mgr Angelelli. Hélas, les menaces contre l’évêque et son entourage persistent. Parallèlement, Mgr Angelelli n’est pas soutenu par ses confrères évêques qui, à part de notables exceptions, demeurent silencieux ou apportent un soutien direct au régime qui se présentait comme le « défenseur de l’Occident chrétien ». Trois mois après l’avènement du pouvoir militaire, ces chrétiens trop gênants pour les intérêts des grands propriétaires sont assassinés.

« En signant le décret ouvrant à la béatification de Mgr Angelelli et ses compagnons, le pape souligne leur participation à une communauté ecclésiale qui vécut dans son ensemble – jusqu’à sa conséquence ultime – ses choix et son engagement pastoral auprès de ceux que l’Évangile préfère », confie à Famille Chrétienne le Père Juan Carlos Baigorrí, actuel curé de la paroisse de Chamical. Le postulateur de la cause en béatification, le Père Damian Patrascu, confirme : « Parmi les motifs de cette béatification figure le fait qu’ils ne portaient pas seulement les exigences spirituelles des fidèles à la façon de prêtres de sacristie, pour ainsi dire : ils veillaient aussi à ce que les droits fondamentaux [des fidèles] soient respectés. » Publié le 9 juin 2018, le décret du Vatican reconnaît que les « quatre  Serviteurs de Dieu ont été assassinés pour leur fidélité au Christ et à l’Église ».

 

Guilhem Dargnies
Famille chretienne – N°2154 – Semaine du 27 avril au 3 mai 2019

 

(1) Los Mártires de La Rioja, par Pablo N. Pastrone, San Pablo, 2018.
Sur ces quatre martyrs « en haine de la justice sociale », on pourra lire "La béatification du père Gabriel Longueville", article paru  sur le site de la CEF.
 
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