Vers un synode sur le rôle des femmes ?

Lors de sa dernière réunion du 6 au 9 avril 2018 à Rome, la Commission Pontificale pour l’Amérique latine a émis le souhait qu’un synode (des évêques) soit consacré au thème du rôle des femmes, dans la société et dans l’Eglise…

Vers un synode sur le rôle des femmes ... Messe au Brésil

 

On trouvera ici des extraits (en français) de la déclaration finale de cette réunion de la Commission Pontificale pour l’Amérique latine. Et  le texte intégral de la déclaration finale (en espagnol). Ainsi qu’une des contributions les plus importantes sur le rôle des femmes en Amérique latine donnée par Anna-Maria Bidegain (qui est universitaire) au cours de la plénière de cette Commission.

 

Commission Pontificale pour l’Amérique Latine
Conclusions et recommandations pastorales de l’Assemblée plénière
Cité du Vatican, du 6 au 9 mars 2018

 

« La femme, pilier de la construction de l’Église et de la société en Amérique latine »

Tout d’abord, nous n’avons pas la prétention de proposer les « conclusions » de cette assemblée plénière car il serait trop ardu de tenter de résumer toute la richesse des conférences, des interventions lors des travaux et des dialogues qui ont eu lieu durant ces journées. Nous essaierons de recueillir et de publier le plus d’éléments possibles sur le site de la Commission Pontificale pour l’Amérique Latine.
La présence de ce groupe de femmes latino-américaines, ainsi que des prélats membres et conseillers de la CAL, a été essentielle au bon déroulement de l’Assemblée. Les femmes présentes ont pu témoigner, partager des expériences et des réflexions d’une grande valeur pour les travaux entrepris, comme modèle de qualité, intensité et profondeur. Nous avons vécu un climat de profonde communion et de liberté de parole durant ces journées.
Tous les participants à cette « plénière » remercient du fond du cœur le Saint Père d’avoir choisi ce thème, si présent dans son enseignement pastoral, et espèrent de nouvelles lumières et orientations de la part de sa Sainteté.

Notre époque est profondément marquée par une nouvelle conscience personnelle des femmes relative à leur dignité, liberté et droits, leur participation à la vie publique, leurs revendications et leurs aspirations. Elles critiquent, parfois de façon virulente, le poids séculaire des injustices, discriminations et souffrances qu’elles ont subies. On peut affirmer que, surtout depuis le symbolique « 68 », on a assisté ces 50 dernières années à un « changement d’époque » durant lesquelles les femmes sont devenues des acteurs publics. La question de la femme est apparue comme l’une des transformations sociales et culturelles les plus importantes, atteignant une dimension civilisationnelle. Les relations entre les sexes, les diverses formes de cohabitation sociale, toutes les institutions – du mariage à la famille, en passant par les institutions publiques et religieuses – ont été interpelées, questionnées, défiées. Nous nous trouvons face à un des grands « signes des temps ». Il n’existe pas de solution facile pour y faire face : les stéréotypes relatifs aux femmes s’effondrent, les préjugés sexistes montrent leur fragilité, de nombreuses recherches sont en cours, les passions déchaînées conduisent parfois au manichéisme, provoquant la colère de nombreux pouvoirs et idéologies qui désirent instrumentaliser les femmes sous de nouvelles formes.
Il reste pourtant beaucoup à faire au sein de l’Église d’Amérique latine pour que soit reconnu, apprécié et mis à profit le potentiel féminin déjà présent partout. Il existe encore des clercs sexistes, autoritaires, désirant faire des femmes les servantes de leur paroisse, les clientes soumises du culte et la main d’œuvre docile en cas de besoin. Il faut en finir avec tout cela. Dorénavant, les pasteurs doivent considérer les femmes comme les principales gardiennes du précieux héritage de la foi de l’Église d’Amérique latine, comme le visage de son espérance, comme le trésor de sa charité. Les femmes doivent faire l’objet d’une attention pastorale particulière.
Cela implique, comme le répète souvent le Pape François, une formation adéquate au respect dans les séminaires et noviciats – comme indiqué dans la nouvelle Ratio – comme de savoir prendre le temps de les écouter, d’apprécier leurs points de vue et perspectives comme source d’enrichissement pour le discernement et l’action, de dialoguer sincèrement avec elles, de les considérer comme coresponsables de la communion et de la mission. De les encourager aussi à assumer des responsabilités croissantes au service de la vie de l’Église, même si leur présence ne doit pas être réduite au nombre de femmes occupant des postes importants. La « prise des pouvoir » des femmes ne se traduit pas par une logique de pouvoir mondain, comme une sorte de « carrière ecclésiastique », mais par la puissance de l’Esprit Saint qui les anime.
Cela ne doit toutefois pas servir de motif à la limitation de la participation des femmes dans l’exercice des responsabilités et la prise de décisions au sein des communautés chrétiennes, à tous les niveaux. « Sans les femmes, l’Église du continent perdrait la capacité à renaître continuellement. Ce sont les femmes qui, avec une grande patience, enflamment et ravivent la flamme de la foi », disait le pape aux évêques latino-américains à Bogota. « C’est un devoir essentiel de comprendre, de respecter, de valoriser, de promouvoir la force ecclésiale et sociale de ce qu’elles réalisent ».

Quelques recommandations pastorales

1- L’Église catholique, suivant l’exemple de Jésus, doit être exempte de préjugés, stéréotypes et discriminations subis par les femmes. Les communautés chrétiennes doivent procéder à une révision de vie en vue d’une « conversion pastorale », demander pardon pour toutes les situations dans lesquelles elles ont été et sont encore complices d’attaques à la dignité des femmes. L’ouverture aux femmes doit venir de notre vision de la foi et de la conversion, regardant avec espérance l’avenir à la lumière de l’Évangile de Jésus, qui a témoigné de la liberté, du respect et l’extraordinaire capacité à raviver la flamme de l’amour et du dévouement de tant de femmes qu’Il a rencontrées.

2- Les églises locales doivent avoir la liberté et le courage évangélique pour dénoncer toutes les formes de discrimination et d’oppression, de violence et d’exploitation dont les femmes sont victimes de multiples manières et d’inclure le sujet de leur dignité, de leur participation et de leur contribution à la lutte pour la justice et la fraternité qui est une dimension essentielle à l’évangélisation. « En ce moment latino-américain -et caribéen – disaient les évêques latino-américains rassemblés à Aparecida – il est urgent d’entendre la clameur, si souvent réduite au silence, des femmes soumises à de nombreuses formes d’exclusion et de violence tout au long de leur vie. Parmi elles, les femmes pauvres, autochtones et afro-américaines ont subi une double marginalisation. Il est urgent que toutes les femmes puissent participer pleinement à la vie ecclésiale, familiale, culturelle, sociale et économique, en créant des espaces et des structures qui favorisent une plus grande inclusion » (N. 454).

3- Dans son travail pastoral, l’Église doit repenser des formes plus appropriées à l’éducation affective et sexuelle des hommes et des femmes, ainsi que pour une préparation plus complète au sacrement du mariage, en accompagnant et en soutenant les couples qui vivent la dignité, la vérité et la beauté d’un amour fidèle, indissoluble et généreusement fécond, tel qu’enseigné par l’exhortation apostolique Amoris laetitia, et les familles abritant de profondes affections, communion d’amour et de vie, église domestique et d’initiation chrétienne, dans lesquelles rayonnent les dimensions de la paternité et de la maternité, de la nuptialité, de la filiation et de la fraternité, qui sont des dimensions de l’amour de Dieu. Le mariage et la famille constituent les expériences fondamentales pour vivre la dignité commune de l’homme et de la femme, leur diversité, leur réciprocité et leur complémentarité, pour grandir tous deux en coresponsabilité tant dans le foyer que dans les modalités les plus appropriées pour « équilibrer » la vie et le travail domestique avec les responsabilités extradomestiques.

4- Les mères qui, en Amérique latine, gèrent les enfants, les familles et le peuple ne doivent pas manquer de soutien et d’encouragement. Bien souvent, elles agissent comme d’authentiques « martyrs », donnant leur vie pour les leurs et les autres. Les mères – a déclaré le Pape François – « sont l’antidote le plus fort à la propagation de l’individualisme égoïste (…), elles détestent la guerre, qui tue leurs enfants (…), témoignent de la beauté de la vie (…), elles savent faire preuve même dans les pires moments, de tendresse, de dévouement, de force morale (…) et souvent aussi transmettent le sens le plus profond de la pratique religieuse » (7. I. 2015). « La maternité n’est pas une réalité exclusivement biologique – avertit le document final de la cinquième Conférence générale de l’épiscopat latino-américain, N. 457 – mais s’exprime de diverses manières ». Le mot « nation » vient de « natío », qui évoque la maternité. L’église est aussi une mère, comme Marie. L’Amérique latine a besoin de cette révolution de tendresse et de compassion, tout comme de construire une culture de la rencontre, dont les femmes sont les meilleurs protagonistes.

5- Une attention particulière doit être portée aux « relations mutuelles » entre les pasteurs et les femmes consacrées. C’est un témoignage essentiel de la présence de Dieu au milieu des peuples latino-américains, en particulier des jeunes, des pauvres, des malades et des démunis, ouvrant des voies à l’Évangile dans la vie concrète du peuple. Elles doivent être reconnues et valorisées comme étant co-responsables de la communion et de la mission de l’Église, présentes dans toutes les instances de réflexion et de décisions pastorales. Les pasteurs doivent aussi tenir compte des communautés de religieuses contemplatives, confiant à leur prière les intentions des Églises locales et de l’Église universelle. Par ailleurs, la Bible doit nous rappeler les veuves pour les accompagner dans la charité et les servir dans les communautés.

Ce sont les femmes qui, …, enflamment et ravivent la flamme de la foi

6- Comme souligné dans le document final d’Aparecida, il est très important que l’Église repense l’éducation des hommes « pour favoriser l’annonce et la réflexion sur la vocation que l’homme est appelé à vivre dans le mariage, la famille, l’Église et la Société » (N. 463 ª). Il faut lutter contre le sexisme, l’absence des pères au sein de la famille et auprès de leurs enfants, l’irresponsabilité de leur comportement sexuel. De plus, il est nécessaire de « développer dans les universités catholiques, à la lumière de l’anthropologie et de la morale chrétiennes, la recherche et la réflexion nécessaires qui permettront de connaître la situation actuelle du monde masculin, l’impact des modèles culturels actuels sur leur identité et mission, et d’identifier des indices qui pourraient aider à l’élaboration d’orientations pastorales » (Aparecida, 263d). L’« ère du féminisme » peut être une occasion « libératrice » idéale pour l’homme, partageant le désir de respecter pleinement la dignité des femmes, d’une paternité engagée, affective et impliquée dans l’éducation des enfants, avec la mère, et un soutien mutuel dans le travail extra-domestique de chacun.

7- Les communautés chrétiennes et leurs pasteurs doivent être vigilants face aux formes de « colonisation culturelle et idéologique » qui, sous prétexte de nouveaux « droits individuels » et en instrumentalisant des revendications féministes, sont diffusées par de grandes puissances et des lobbies très organisés, pour attaquer le mariage et la famille, pour saper l’ethos culturel de nos peuples, en favorisant la désintégration de la famille et du tissu social des nations. Ce sont les femmes qui finissent par payer au prix fort de telles opérations, ainsi que les mères et les enfants. Il est important de promouvoir un dialogue attentif et continu entre les pasteurs et les politiciens, dans la ligne de ce qui est recommandé ci-dessus.

8- Comme voulu par la Ratio Fundamentalis Institutionis Sacerdotalis, nous serons extrêmement attentifs à la formation intégrale des futurs prêtres. Dans cette perspective, « un des signes du développement harmonieux de la personnalité des séminaristes est une maturité suffisante pour entrer en relation avec des hommes et des femmes, d’âge et de statut social différents (…). « La connaissance et la familiarisation avec la réalité féminine, si présente dans les paroisses et dans de nombreux contextes ecclésiaux, est essentielle à la formation humaine et spirituelle du séminariste », ainsi qu’à sa future action pastorale au service du Peuple de Dieu, capable d’entrer en relation avec les femmes avec une maturité sereine, de dialoguer avec elles et d’apprendre d’elles, de reconnaître et d’intégrer toute la richesse du « génie féminin » et de ses charismes (cf. N. 95). Pour cela, il est nécessaire de promouvoir la participation de femmes mariées ou consacrées dans les processus de formation, mais aussi au sein des équipes de formateurs, de leur donner l’autorité pour enseigner et accompagner les séminaristes, ainsi que la possibilité d’intervenir dans le discernement vocationnel et le développement équilibré des candidats au sacerdoce ministériel.

9- A la lumière des orientations du Pape François sur la « synodalité  » à tous les niveaux de l’Église, basée sur le don de l’Esprit Saint à chaque baptisé et à la « coessentialité » entre les dons hiérarchiques et les dons charismatiques, il est possible et urgent de multiplier et d’élargir les occasions et possibilités de collaboration des femmes dans les structures pastorales des communautés paroissiales, diocésaines, au niveau des conférences épiscopales et de la Curie romaine. Une telle ouverture n’est pas une concession à la pression culturelle et médiatique, mais le résultat d’une prise de conscience que l’absence de femmes au sein des organes décisionnels est une faille, une lacune ecclésiologique, l’effet négatif d’une conception cléricale et sexiste. S’il n’y a pas de remède à court terme, beaucoup de femmes prêtes à servir se sentiront mise à part et finiront par s’éloigner de l’Église.

10- Bien entendu, cette nécessaire et urgente ouverture implique un investissement dans la formation chrétienne, théologique et professionnelle des femmes, laïques et religieuses, afin qu’elles puissent travailler avec leurs collègues masculins de manière normale et équilibrée, et cela non seulement parce qu’elles sont des femmes et parce que nous devons renvoyer une image respectant les canons culturels actuels. Les pasteurs encourageront et soutiendront les études bibliques et théologiques des femmes afin que la construction des communautés chrétiennes s’enrichisse.

11- Les institutions catholiques d’enseignement supérieur, et en particulier les facultés de théologie et de philosophie, sont invitées à continuer à approfondir une théologie de la femme, à la lumière de la tradition et du Magistère de l’Église, des nouvelles réflexions théologiques relatives à la Trinité et à l’Église, du développement de la science et, en particulier, de l’anthropologie, ainsi que des sensibilités culturelles actuelles et des aspirations des femmes.

12- La dévotion mariale, si profondément enracinée et diffusée en Amérique latine, manifestation de l’inculturation de l’Évangile et de l’amour des peuples, aidera à considérer Marie comme paradigme de la « femme nouvelle », en la regardant comme un exemple extraordinaire d’une féminité pleine, digne d’être protégée et promue, tant pour son importance dans la mise en œuvre d’une coexistence sociale plus humaine que pour la formation de disciples-missionnaires de son Fils.

13- Dans toutes les Églises locales et par l’intermédiaire des conférences épiscopales, un dialogue franc et ouvert sera établi entre les pasteurs et des femmes à tous niveaux de responsabilité (des dirigeantes politiques et syndicales, chefs d’entreprises, aux dirigeantes de mouvements sociaux et de communautés autochtones).

14- Les évolutions auxquelles nous sommes confrontées et qui exigent de l’Église une relance de son dynamisme missionnaire – Evangelii Gaudium – rendent nécessaires un changement de mentalité et un processus de transformation analogue à celui engagé par le Pape François avec le Synode sur la famille – et la publication de l’exhortation apostolique Amoris Laetitia – et le prochain Synode sur les Jeunes. Cette Commission pontificale pour l’Amérique latine n’a pas pour objectif de projeter son point de vue et ses besoins sur l’Église Universelle, mais elle envisage sérieusement la question d’un synode de l’Église universelle sur la question de la femme dans la vie et la mission de l’Église.

Traduction Maria Mesquita Castro et Annie Josse
SNMUE

 

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