Choses vues au Guatemala

Mgr L. Dognin, évêque de Quimper et Léon, est allé rendre visite à Jean-Pierre Henry, prêtre de son diocèse en mission fidei donum au Guatemala. Voici le récit de quelques impressions de cette visite à l’Eglise du pays…

Guatemala. Mgr Dognin et le P. Jean-Pierre avec la communauté de San José de la Frontera.

Mgr Dognin et le P. Jean-Pierre avec la communauté de San José de la Frontera, à la frontière entre le Guatemala et le Honduras.

Premier jour et premières découvertes

Premier bus pour rejoindre Puerto Barrios au nord du pays. Nous avons parcouru les 280 km en 7h avec un arrêt déjeuner à mi-chemin. Arrivée à la paroisse Nuestra Señora de Fatima. Soirée tranquille. Je découvre les maisons éparpillées de ce village. Ça grouille de jeunes et de familles qui circulent sur leurs petites motos, souvent à deux, trois ou quatre entassés et toujours sans casque !

Visite à la prison et messe pour les détenus

Nous avons célébré la messe à la prison. Rien à voir avec les prisons de chez nous. Il s’agit d’une grande enceinte entourée d’un mur de 7 ou 8 m, ponctuée de tours de miradors. À l’intérieur, c’est comme une grande kermesse. À l’entrée, plusieurs agents se chargent des formalités d’usage qui sont assez sévères. J’ai été étonné de voir les détenus se promener avec leur femme et leurs enfants ou vaquer à leurs occupations. Certains tiennent, ici leur petit commerce, là leur « restaurant », d’autres leur atelier de tissage. Les téléphones portables sont interdits mais nous avons vu un stand où plusieurs détenus les rechargeaient !
Nous sommes entrés dans la petite salle sans fenêtre qui sert de chapelle. Elle était pleine et un détenu était en train de faire une catéchèse. Ils étaient entre 30 et 40. Plusieurs guitaristes. J’ai célébré et prêché, et Jean-Pierre a traduit l’homélie. Messe pleine de ferveur. La plupart purgent des peines de plusieurs dizaines d’années. Ils étaient heureux de m’accueillir et il y avait du monde qui regardait par la porte. Après la messe, nous avons pu faire un tour pour rencontrer les détenus. Je ne suis pas passé inaperçu ! Beaucoup nous ont salués… mais pas tous.

Visite à un village de montagne

Expérience particulièrement intéressante. Nous avons célébré la messe dans la communauté locale San José de la Frontera, perdue dans la forêt au cœur des montagnes environnantes, à la frontière avec le Honduras. Il nous a fallu 5 heures aller et autant pour le retour successivement en 4×4, en barque, à pied et à cheval, pour y passer 2h45… Sur place, le délégué pastoral responsable de la communauté nous a accueillis. Jean-Pierre y monte une fois par mois pour confesser et célébrer la messe. Le reste du temps, ils organisent la prière (sans communion). Dès notre arrivée, les familles sont sorties peu à peu de la forêt. Toutes endimanchées ! Des familles extrêmement pauvres vivant de peu, élevage et quelques petites plantations J’ai été frappé par cette belle manière de se préparer à accueillir le Seigneur, et à nous accueillir aussi sans doute ! Nous avons célébré la messe avec une quarantaine de personnes. Beaucoup d’enfants qui ne vont pas à l’école. Elle a fermé à la suite du départ de deux familles qui ont quitté le village après avoir subi l’attaque d’une bande armée venant du Honduras, dont la frontière est à quelques centaines de mètres. D’ailleurs, José nous a accueillis en nous signalant que son frère avait été tué par une de ces bandes qui venait piller le peu de biens qu’ils avaient. Pour ces familles, c’est une menace permanente et angoissante. Avec Jean-Pierre, nous avons confessé pendant 20 mn. La messe était superbe. Les chants et les guitares exprimaient une belle dévotion. Il y a eu 26 communions. Le soir, au retour, nous avons été invités à dîner chez une famille de la paroisse. Dîner rapide ! Cela semble être la culture ici. On mange ensemble mais ce n’est pas un lieu vraiment convivial.

La vie sur la décharge

Nous sommes passés à la décharge où Jean-Pierre va régulièrement trier des ordures pour rencontrer des gens et partager leur pauvre travail. Ces gens-là sont les plus pauvres des pauvres. C’était très boueux…

Entretien avec l’évêque de Izabal

Déjeuner chez Mgr Domingo Buizo Leiva, Évêque du Vicariat Apostolique de Izabal. Au cours de notre échange, je lui ai demandé quelles étaient ses préoccupations actuelles. Il a souligné notamment :
– Le fossé qui se creuse entre les grandes fortunes du pays et les pauvres toujours plus nombreux,
– Les cartels de la drogue qui provoquent de la violence et corrompent toute la société,
– La corruption en général à tous les niveaux,
– Les nombreuses Églises évangéliques qui promettent l’argent et la santé et trompent beaucoup de gens.

Messes dominicales

J’ai suivi Jean-Pierre dans les quatre messes qu’il célèbre habituellement le dimanche dans des communautés villageoises. Cette fois-ci dans la vaste plaine de l’estuaire du Rio Motagua. La plaine est largement occupée par les bananeraies et les palmeraies qui produisent l’huile du même nom. Mais il y aussi de grandes prairies inondables où paissent quelques troupeaux bovins et où les habitants cultivent du maïs.
Première messe à la paroisse principale (Nuestra Señora de Fatima) à 8h, c’est l’heure la plus pratique pour les fidèles qui ont l’habitude de se lever très tôt. Belle animation.
Puis nous sommes partis pour célébrer la messe de 11h à Cácao. Après plusieurs kilomètres de piste, nous apercevons un attroupement. Nous avons cru d’abord à une manifestation mais c’étaient les fidèles qui nous attendaient pour nous faire une haie d’honneur et nous accompagner jusqu’à l’église. Nous avons été très touchés par cet accueil chaleureux, d’autant plus qu’ils avaient soigneusement préparé des fanions avec des branches et du plastique, des décorations et des ballons. La responsable a fait un discours d’accueil. ¡ Que bueno ! La petite église était pleine. Après la messe, ils avaient préparé des sandwiches pour tout le monde mais nous étions invités à déjeuner, avec Jean-Pierre, par la responsable de la communauté locale. Repas traditionnel. Je suis étonné de voir que nous déjeunons avec les hommes mais que les femmes restent à la cuisine pour nous servir. La maison a été complétement inondée il y a quelques mois. Nous repartons avec un régime de bananes et deux cannes à sucre.
Départ pour Champas pour la messe à 14h. Le village se trouve de l’autre côté de Rio Motagua. Le pont tout neuf que Jean-Pierre a béni un mois plus tôt a été à moitié emporté par une crue. On peut passer mais à pied et c’est délicat ! Les fidèles nous attendaient de l’autre côté. Là encore un accueil émouvant. Décorations, discours… Offrande des produits locaux.
Enfin, nous partons pour la quatrième messe de la journée à 16h à Jimelito. C’est une nouvelle communauté. Ils ont construit leur petite église de leurs mains. C’est encore en chantier, mais nous avons pu célébrer dignement la messe devant une assemblée nombreuse car quelques membres des autres communautés étaient venus nous rejoindre. C’était un encouragement pour cette communauté débutante.
D’une manière générale dans la paroisse, environ la moitié des fidèles communient. Après la communion, une prière de « Communion spirituelle » est dite pour ceux qui n’ont pas communié.

Repas à la nonciature

Le soir, le Nonce nous invite à dîner. Une vingtaine de personnalités. Notamment les Ambassadeurs de France, Taïwan, Pérou… Nous redoutions avec Jean-Pierre que ce soit un dîner mondain mais les gens étaient simples et nous avons eu de beaux échanges, notamment avec l’Ambassadeur de France…

Mgr Laurent Dognin, évêque de Quimper et Léon, mars 2018.
Jean-Pierre Henry est un prêtre du diocèse de Quimper, fidei donum au Guatemala.

Le Guatemala en bref ...
Pays de l’éternel printemps, première économie et pays le plus peuplé d’Amérique centrale avec une population estimée à 17 millions d’habitants, le Guatemala est aussi un pays miné par la violence et la corruption : la levée de l’immunité du président de la République Jimmy Morales a été demandée à plusieurs reprises pour des soupçons d’usage de fonds illégaux dans le financement de sa campagne, et son prédécesseur est lui-même en prison. La corruption touche tous les niveaux, y-compris le domaine de la santé et des prix des produits pharmaceutiques, alors que le Guatemala a le plus fort indice de malnutrition infantile de toute l’Amérique latine, et que 50% des familles n’y ont pas accès à une alimentation équilibrée. Le crime organisé et le narcotrafic, liés aux bandes de « maras », génèrent une violence permanente qui entraîne migration forcée, inégalités, pauvreté... Plus de la moitié de la population, en grande majorité d’origine indigène, vit en dessous du seuil de pauvreté.
L’Église guatémaltèque attend la nomination du successeur de Mgr Óscar Julio Vian Morales, archevêque de Guatemala Ciudad, la capitale, décédé fin février. Très critique vis-à-vis de la situation de son pays, il demandait aux corrompus de « rendre tout ce qu’ils avaient volé ». 
L’Église s’est donné un certain nombre de priorités sur le plan pastoral et sur le plan de sa présence dans la société, où elle est affrontée à la croissance rapide du nombre d’évangéliques. Son premier objectif est de : travailler pour que l’Église au Guatemala se renouvelle dans ses membres et ses structures, à partir de la rencontre de Jésus, pour être ses disciples-missionnaires, témoins du Royaume dans la réalité actuelle du pays. 
Elle est très présente dans le monde de l’éducation et sur toutes les questions touchant à l’environnement et aux activités minières, au thème de la terre et à la question agraire, les conflits qui en découlent et l’attention aux migrants.
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