Dom Geraldo Verdier : l’option préférentielle pour les pauvres

Le décès de Dom Geraldo le 22 octobre, Journée Mondiale des Missions, fut perçu comme un clin d´œil du Bon Dieu. Depuis 1965 il vivait au Brésil, et depuis 1975 en Amazonie. Gilles de Catheu, médecin à la pastorale indigène du diocèse de Guajará-Mirim, nous retrace le parcours de celui qui fut pour lui « un père spirituel, un ami, un confident et un conseiller ».

Dom Geraldo Verdier sur le fleuve

Dom Geraldo Verdier

Dom Geraldo Verdier, évêque émérite de Guajará-Mirim, dans l´état du Rondônia en Amazonie brésilienne, nous a « quittés » à l´âge de 80 ans à la suite d´un AVC. La nouvelle de son hospitalisation en réanimation à Porto Velho, et de son décès quatre jours plus tard, s´est répandue par wathsapp comme une trainée de poudre. Les habitants, toutes croyances confondues, ont pleuré et pleurent toujours celui qu´un journal baptisa « le père des pauvres ». Pendant son hospitalisation, une grande chaîne de prière a relié le Nouveau Monde à l´Ancien. Son décès le 22 octobre, Journée Mondiale des Missions, fut perçu comme un clin d´œil du Bon Dieu. Des représentants des 13 paroisses du diocèse se sont déplacés pour veiller le corps et être présents à la messe et à l’inhumation à la Cathédrale aux côtés de Dom Francisco Xavier Rey, premier évêque de Guajará-Mirim. De nombreux indiens du peuple Wari venus par le fleuve ont veillé toute la nuit leur ami « Tokorom Pip » (nom du grand-père de Pao Jam, le chef du village) sans le quitter des yeux un seul instant.

Trouver les mots justes pour parler de celui qui pendant 35 ans a été un père spirituel, un ami, un confident et un conseiller n´est pas une tâche facile. Son souvenir est d´autant plus brûlant qu´au Diocèse tout nous rappelle sa présence, son sourire et sa gentillesse.

Il est bon d´évoquer son passé pour mieux le comprendre. Dom Geraldo est né à Alban dans le Tarn où son père était forgeron. Il entra au petit séminaire d´Ambialet chez les Franciscains du Tiers Ordre Régulier (TOR). À l’âge de 13 ans il y rencontra Dom Francisco Xavier Rey (TOR) de passage en France. Il se souvient que Dom Rey éveilla sa vocation missionnaire. Quelques années plus tard, une autre rencontre sera décisive, celle du père Sylvain Dourel, prêtre du TOR et responsable des foyers sur le diocèse d´Albi.

La dissidence

Quelques jeunes prêtres du TOR désirant ardemment venir en aide à Dom Rey, ils prirent la porte car les responsables refusaient de les laisser partir. Le père Dourel prit le même chemin par solidarité. Gérard venait de terminer sa philosophie à Béziers. Le père Sylvain partit à Rome rendre compte de la situation au supérieur du TOR qui lui dit : « Vous avez ma bénédiction, mais pour le reste, débrouillez-vous ! » Le père Sylvain n´en demandait pas plus. Il monta à Paris en 2 CV avec Gérard, « sans un sou vaillant » nous disait-il, mais avec une immense confiance en la Providence. Il présenta une requête à l´archevêque de Paris qui répondit, non sans humour : « l´Église accueille les bandits, elle peut bien vous accueillir ! ». C´était en 1961.

A Paris La revue « Lettre d´Amazonie »

Pour venir en aide à Dom Rey, le père Sylvain suivit son intuition, publiant « Lettre d´Amazonie », une revue trimestrielle composée essentiellement d´extraits de lettres de missionnaires avec lesquels il correspondait. Il en sera le rédacteur en chef pendant 40 ans et D. Geraldo le principal correspondant. A la mort du père Dourel, Mady Huntzinger prendra le relais. Gérard qui suivait la théologie à l´Institut Catholique retrouvait tous les jours le père Dourel. L´enthousiasme contagieux de ce dernier confirma Gérard dans sa vocation. Leur amitié, déjà profonde, ne fera que grandir.

 Le père Gérard au Brésil

Une fois ordonné (en 1965), le père Gérard partit non pas pour l´Amazonie, mais pour Mogi-Mirim, dans l´Etat de São Paulo, où pendant 10 ans il dirigea le petit séminaire brésilien des TOR. Pendant les vacances scolaires toujours très attendues, il se rendait à Guajará-Mirim. En 1975 il rejoindra définitivement Guajará-Mirim où Dom Roberto Gomes (TOR) était évêque depuis 1966. Dom Rey (évêque émérite) dirigeait la formation d´institutrices sur le rio Guaporé, à la fois frontière naturelle entre le Brésil et la Bolivie et trait d´union. De 1975 à 1978, le père Gérard prendra part à l´équipe fluviale, avec une religieuse et deux indiens de Sagarana, desservant les villages des deux rives. Sensible à la beauté de la nature et à la noblesse des habitants, il fut conquis par ce Guaporé tant vanté par Dom Rey. A son passage au village indien de Sagarana, il retrouvait la famille de Jean François et Eida Bénavent dont l´amitié réciproque leur permit de vaincre bien des difficultés. Geraldo avait une conscience aigüe des valeurs des cultures. Il apprit assez vite des rudiments de la langue Wari qu´il regrettait de ne pas savoir davantage.

En Amazonie où les terres indiennes sont convoitées, Dom Geraldo fut un ardent défenseur de la cause indienne et de la forêt. Il donnera tout son appui à la Pastorale indigène/Cimi.

Padre Geraldo responsable du diocèse de Guajará-Mirim de 1978 à 2011.

En 1978, le père Gérard fut nommé « administrateur apostolique » de la Prélature de Guajará-Mirim. Il quitta à regret sa mission sur le fleuve qu´il confia à son frère, le père Paul.

En 1980, il devint évêque de Guajará-Mirim, « par défaut » nous disait-il ! Cette même année, la prélature fut érigée en diocèse. C´était au Brésil le diocèse le plus pauvre en prêtres et le plus riche en évêques, avec quatre prêtres et trois évêques (dont deux émérites) !

De là sa préoccupation de former un clergé local. Il y mettra toute son énergie. Il aura la joie d’ordonner une dizaine de jeunes du petit séminaire Maximilien Kolbe, dont sept assument toujours le ministère. La joie aussi d´ordonner des diacres permanents.

Le diocèse est immense avec des réalités très diverses et de nombreuses paroisses souvent difficiles d´accès. Pendant ses visites pastorales, il ne se plaignait ni de la fatigue, ni de la poussière ou de la boue, ni du soleil ou de la pluie. Il démêlait les problèmes des communautés et apaisait les tensions. De retour à Guajará-Mirim, il n´y avait pas que le courrier qui l´attendait, mais aussi les problèmes administratifs ou personnels de ses collaborateurs.

Il puisait sa force dans la prière et l´intimité avec le Christ dont il cherchait sans cesse la volonté, et aussi dans son amitié avec Sylvain Dourel. Avec un respect et une admiration réciproque, une correspondance soutenue et une communication parfaite, ils formaient un binôme hors-pair. Comme Gandhi, chaque jour ils cherchaient à mener « l´action juste ».

Alors que je lui demandai ce qu´il pensait d´une discussion de séminaristes en théologie, D. Geraldo me dit :  » l’Évangile se résume à Matthieu 25 : j’avais faim et tu m’as donné à manger, j’étais étranger et tu m’as accueilli, j’étais nu et tu m’as vêtu, j’étais malade et en prison et tu m’as visité… »

Dom Geraldo était un homme d´action qui décidait vite et qui allait jusqu´au bout de ce qu´il avait commencé. Devant une injustice, il faisait entendre sa voix sur les ondes de la radio diocésaine, dans les journaux locaux et en chaire.

Ainsi en 1981, il dénonça l´abus des patrons du caoutchouc qui déduisaient arbitrairement un pourcentage du caoutchouc pour soi-disant compenser l´humidité et d´éventuelles saletés. La guerre était ouverte. La justice donna raison à l´évêque et le pourcentage fut supprimé. Cela aurait pu lui coûter cher. Un seringueiro lui dira en confession qu´il avait accepté une sale besogne, mais qu´au dernier moment sa conscience parla plus fort et qu´il y renonça.

Il fallut l´intervention musclée de Dom Geraldo pour qu’un petit trafiquant torturé par la Police et présentant une hémorragie interne soit hospitalisé. L´opération lui sauvera la vie. Un prisonnier de la même cellule assuma la responsabilité et la police ne fut plus mise en cause. Une autre fois, D. Geraldo fut conduit au tribunal pour diffamation par la police qu´il avait dénoncée pour une affaire semblable. Un an après, l´affaire fut close par manque de preuves.

Geraldo n´hésitait pas à dénoncer en chaire le trafic de drogue et les points de vente (« boca de fumo ») à tous les coins de rue qui sont une vraie gangrène. Il questionnait ouvertement la « Justice » qui enferme les petits alors que les grands courent toujours … on en retrouve même à la messe à la cathédrale ! D. Geraldo avait un coup de cœur pour le Centre « Despertar » avec ses ateliers occupationnels et professionnalisants où s´inscrivent chaque année des centaines de jeunes. Une goutte d´eau pas si petite dans la prévention contre la drogue.

Les prisonniers avaient une grande estime pour D. Geraldo en qui ils avaient confiance. Il ne manquait jamais de célébrer Pâques et Noël dans les trois prisons. Il prenait au sérieux tous les petits billets que les prisonniers lui adressaient et s´efforçait d´y répondre au mieux. Lors d´une rébellion avec prise d´otages pour obtenir de justes revendications, D. Geraldo prit la place des otages et ne fut libéré qu´après le succès de la négociation

Équilibré et serein, D. Geraldo avait le goût du beau et du bon. Il aimait la musique, les plantes, les animaux, la marche, un bon film, les romans autant que les livres spirituels, le whisky et la caipirinha (le dimanche et jamais seul !), et quand l´occasion se présentait, jouer aux cartes le soir. Il se régalait devant un coucher de soleil ou un lever de lune, identifiait et contemplait les constellations d´étoiles, et aimait nager dans la baie de Sagarana.

A Guajará-Mirim, il ne s´arrêtait pas. D´ailleurs, il disait que d´avoir son bureau en ordre, y compris sa boîte e-mails, le reposait. Le plus étonnant c´était la liberté qu´il nous donnait d´entrer dans son bureau et l´impression de n´avoir rien d´autre à faire que de nous écouter.

En 2011, il céda la place à Dom Benedito Araújo, de l´état du Maranhão, qui lui demanda de rester au diocèse auprès de lui. Un geste fraternel de grand prix pour Dom Geraldo.

La beauté des eaux noires du Guaporé, les couchers de soleil sur ses rives et l’âme des indiens WARI ne sont qu’un reflet de la lumière et de la joie qui l’attendent dans sa nouvelle demeure.

Gilles de Catheu
Novembre 2017

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