Colombie : voyage du pape et processus de paix

RV23939_Articololocaliser-colombie-sur-carte-du-monde2Le pape François se rendra en Colombie début septembre pour soutenir l’accord sur un cessez-le-feu définitif et le désarmement de la rébellion, conclu le 24 juin à La Havane entre le gouvernement de Bogota et la guérilla des Farc, qui a mis un terme au plus vieux conflit d’Amérique latine. Un conflit qui a impliqué plusieurs guérillas depuis les années 1960 et a fait au moins 260.000 morts, plus de 60.000 disparus et 6,9 millions de déplacés internes. L’accord soumis à référendum le 2 octobre par le président Juan Manuel Santos afin de lui donner la « plus large légitimité » possible, a été rejeté par les Colombiens et finalement ratifié le 1er décembre après avoir été renégocié en incluant des propositions de l’opposition.

« Le pape veut venir à la rencontre des Colombiens, il vient vers ceux qui sont dans les villes et ceux qui vivent à la campagne et ont une culture et des besoins différents ; pour les riches et les pauvres ; les jeunes et les personnes âgées » ; ainsi le nonce apostolique en Colombie annonçait-il le voyage du pape François, qui aura lieu du 6 au 10 septembre prochain.

Le cardinal Rubén Salazar Gómez, archevêque de Bogota et président du Celam, indique que le thème de la visite “Faisons le premier pas” « nous invite à faire un pas en avant, à laisser derrière nous toute notre histoire de violence, de guerre, d’affrontements, de dissensions, et à commencer à avancer ensemble pour construire un pays meilleur. Un pays où règne la justice, où tous aient accès à leurs droits, où tous puissent s’acquitter de leurs obligations, et où entre tous, nous puissions véritablement construire la paix ».

À la veille de l’annonce du voyage du pape François, José Fabio Naranjo, enseignant à Medellin et militant pour la paix, faisait le point sur les accords de paix et le débat électoral en Colombie. José Fabio Naranjo a écrit cet article (en espagnol) pour la revue digitale Carta OBSUR dont il est le correspondant en Colombie. Elle est éditée par OBservatorio del SUR, association catholique uruguayenne de laïcs et de prêtres engagés dans le travail avec les plus pauvres, la construction de la citoyenneté, la transformation sociale et le renouveau de l’Église en Amérique latine.

 

La question de la paix dans l’agenda électoral colombien

La mise en œuvre des accords de paix entre le gouvernement de Colombie et la guérilla des farc-ep, ratifiés par le Congrès, commence à peine, et dans la république sœur d’Équateur viennent de débuter les conversations publiques entre ce même gouvernement présidé par le récent prix Nobel de la paix 2016 et la deuxième guérilla la plus importante du pays, l’ELN[i] , et avec elles l’attente de la réussite de la “Paix totale “ en Colombie. Il est cependant d’ores et déjà nécessaire de s’interroger sur l’impact que ces processus de paix en cours auront sur les élections au Congrès (Sénat et Chambre des représentants) et présidentielles, qui auront lieu en Colombie dans les cinq premiers mois de 2018. Interrogation bien nécessaire devant “l’annonce” par l’un de représentants les plus emblématiques de l’extrême-droite colombienne du rejet des accords de paix en cas de victoire à l’élection présidentielle ; annonce plus que nuancée, renforcée par A. Uribe, son chef, déclarant qu’il y aurait des “ajustements” au processus pour éviter que la Colombie “ne tombe dans l’escarcelle chaviste”. Dans ces élections présidentielles de 2018, pour lesquelles il y a déjà 15 pré-candidats, c’est la paix qui sera en jeu et de manière décisive l’avenir de la Colombie.

Envergure, enjeux et sens de la mise en œuvre des accords de paix

signature accord de paix

Signature des accords de paix entre le gouvernement colombien et les Farcs à Cuba

Les accords de paix avec les farc.ep, dont la mise en œuvre débute, sont d’une grande envergure et donnent des éléments pour la construction d’un nouveau modèle d’état en ce qui concerne la participation politique, l’attention à la campagne et à l’environnement, une approche du problème des drogues, l’attention aux problèmes spécifiques des femmes et l’attention particulière aux plus de 8 millions de victimes du conflit armé et – cela est décidé – à la lutte contre les paramilitaires, ennemis numéro 1 de la paix et qui, avec le soutien de l’extrême-droite, commettent continuellement des crimes contre des leaders sociaux, des défenseurs des droits humains, des leaders paysans, ce qui pose constamment question sur la capacité de l’état, renforcé et avec une nouvelle légitimité, à pouvoir les vaincre. Il ne semble pourtant même pas reconnaître leur existence ; ce n’est pas un bon signe que le procureur général, dont les bureaux paraissent incapables de remplir leurs engagements de protéger la vie des opposants, ou de résoudre au moins un assassinat sur 10, et qui est accusé par les farc-ep d’amitiés paramilitaires, se centre sur des questions de sémantique, dans ce pays de mauvais juristes, linguistes et discoureurs, et place la discussion sur la « non-systématicité » des crimes, c’est-à-dire que ces morts ne répondent pas à un plan coordonné… ; ou les arguments du ministre de la défense pour nier l’existence des paramilitaires en Colombie et attribuer les crimes à des bandes criminelles liées au narcotrafic ; mais « les faits sont têtus » et montrent que tous  les morts appartiennent à la « Marche Patriotique », organisation paysanne qui a soutenu sans réserve le processus de paix, sont des leaders de gauche et/ou des plaignants pour des terres perdues aux mains de paramilitaires et qui pourraient être récupérées avec le respect des accords de paix ; et les faits montrent aussi que la majorité de ces assassinats se produisent dans des zones fortement contrôlées par l’armée. C’est aussi en raison de cette douloureuse et persistante réalité des groupes paramilitaires que la mise en œuvre des accords de paix est capitale.

Le plan-cadre pour le déroulement des accords de paix sera en vigueur pendant 10 ans, et une première phase de mise en œuvre prioritaire va courir jusqu’au 20 mai 2019 ; ensuite et pour les deux mandats présidentiels à venir, le Plan national de déroulement devra inclure un chapitre correspondant au plan quadriennal de mise en œuvre des Accords. Les accords prévoient l’application graduelle d’une série de lois censées s’appeler l’une l’autre et qui établissent les bases pour le développement d’au moins une vingtaine de plans nationaux de tout ordre. Il convient de souligner que les accords de paix ne sont pas fondamentalement au bénéfice des farc, mais particulièrement de la population rurale ; les “Plans”, “programmes”, “comités”, “systèmes” et autres, prévus dans les accords, visent en majorité les zones rurales, l’amélioration intégrale des conditions de la campagne colombienne et de sa population : certains des Plans prévus sont des adjudications gratuites ou d’indemnisation intégrale pour les terres, l’accompagnement du logement, l’assistance technique, la formation et la qualification des terres, l’officialisation massive (de titres de propriété sur les terres), la protection des zones de réserve rurale, plan national d’irrigation et de drainage, électrification rurale, plans nationaux de connectivité, santé et plan spécial d’éducation rurale, plans nationaux de promotion de l’économie rurale, familiale et communautaire. Programmes : 16 Programmes de Développement à visée territoriale dans 16 zones. Programmes contre la faim et la malnutrition (il est prévu de définir quand et où). Comités : Instances de concertation et de dialogue social entre gouvernement régional et local, paysans, afros, indigènes, pour définir les programmes de productivité. Système général d’information cadastrale (7 ans maximum). Systèmes : Système pour que les municipalités liquident, recouvrent et collectent l’impôt foncier ; système spécial pour la garantie progressive du droit à l’alimentation de la population rurale. Et enfin Fonds de terre : il représentera 3 millions d’hectares et comprend des terres dont la propriété s’éteint, des terres non cultivées, tirées d’une réserve forestière, expropriées ou achetées pour des raisons d’intérêt social ou d’utilité publique et des terres données.

La précision dans les contenus des accords, leur lien mutuel ou leur cohérence, et le fait, d’une importance capitale, que la communauté internationale (l’ONU en particulier) surveille fortement leur application, constituent autant de garanties importantes de la réalisation des accords.

Corruption, processus de paix et débat électoral

Devant les prochaines élections, il est important de souligner que les accords contiennent un arsenal de mesures contre la corruption et il est nécessaire de dire que l’on peut sans exception considérer que, dans la conscience de toutes ces organisations qui soutiennent dans les territoires le développement du processus de paix, la corruption est la première cause de la violence et de l’injustice en Colombie. Il convient donc de réaffirmer que les accords de paix, dans toute leur extension, constituent une possibilité réelle de mettre en marche des mécanismes qui permettent aux citoyens de se fier au maniement des ressources publiques. Défendre la primauté de la lutte contre la corruption sur le développement des accords de paix, et que le seul aspect à surveiller est que les farc s’y conforment, comme l’affirment certains pré-candidats qui rejettent d’emblée l’union avec les farc désarmées et devenues un parti politique ;  cette attitude et cette approche méconnaissent le fait que du bon déroulement du processus de paix dépend l’établissement d’un ordre en Colombie, et que les moteurs de ce nouvel ordre sont le respect par l’état de tous ses engagements et la large participation citoyenne. L’état colombien s’est caractérisé d’’une manière que nous pourrions appeler “structurelle” par le non-respect d’accords importants avec des communautés et régions entières ; on peut dire la même chose des accords établis dans le passé avec des groupes guérilleros qui voulaient faire la paix.  Cette fois, outre la mobilisation citoyenne, beaucoup de regards internationaux ont des fonctions et des intérêts précis dans la mise en œuvre des accords ; parce qu’une bonne partie du dit « post-conflit » sera financée par la communauté internationale qui surveille de très près l’utilisation des ressources puisqu’elle connaît la grande corruption qui règne dans l’état colombien.

 L’attitude des farc-ep et les prochaines élections

Des combattants des farc se dirigeant vers les zones de rassemblement

Des combattants des farc se dirigeant vers les zones de rassemblement

Le jour fixé pour arriver dans la zone de rassemblement convenue, l’un des chefs suprêmes de la guérilla, Pablo Catatumbo, montrait devant les caméras de télévision un terrain plat, presque désert, où aucune construction n’était en cours ; « nous avons tenu parole, mais pas le gouvernement », déclarait Catatumbo. Il est important à tous points de vue : moral, politique, historique… de souligner que les farc ep ont tenu parole ; il est même souvent émouvant de voir la marche entreprise par près de 7000 guérilleros, homme et femmes, enceintes pour un certain nombre d’entre elles, sur des dizaines de routes de montagne, pour arriver jusqu’aux “zones de rassemblement”;  sur certaines la construction de logements, le raccordement à l’électricité et l’eau courante, l’aménagement des voies d’accès, commençaient à peine, et se terminent en partie grâce à la participation des guérilleros… Aujourd’hui, certes avec un peu de retard mais de façon convaincante, on peut affirmer qu’une bonne partie du travail d’aménagement (mise en conformité) de ces zones est fait, et la guérilla s’y est rassemblée. Mais il faut être réalistes. En Colombie, la présence de l’état est proche de zéro dans de vastes zones rurales ; les zones de rassemblement convenues avec les farc se situent dans des endroits reculés ; pour y accéder il a fallu entreprendre la construction  de centaines de kilomètres de routes ; transporter les matériaux nécessaires pour les constructions, négocier avec les propriétaires des terrains que l’on allait occuper temporairement, décider avec les communautés proches des projets à leur bénéfice… en bref, la logistique et les mécanismes de coordination interinstitutionnelle que le processus requiert sont considérables et il n’est pas étonnant que l’état ait eu du retard ; ce que par contre il faut conserver, c’est le rythme de mise en œuvre des accords, et on n’est arrivé à le conserver à un degré élevé que grâce à la mobilisation citoyenne, au soutien et au contrôle international  et à la volonté ainsi qu’au leadership du président.

Il n’y a pas que sur ce point que les farc ont tenu parole : le nombre des soldats ou policiers tués ou blessés dans des affrontements avec les farc est de zéro, de même que les enlèvements et, un point très sensible pour la société civile et l’économie, celui des extorsions. Ceci est à mon avis d’une grande importance pour les prochaines élections, et définira la compréhension réelle que les pré-candidats présidentiels et les forces politiques et sociales engagées dans le débat politique, ont du processus de paix et de ses implications pour l’avenir. L’attitude des farc demande une réponse morale aussi significative de la part de la société et des forces politiques. Les farc doivent être accueillies, accompagnées, on doit tenir parole envers elles pour ce qui dans les accords leur revient directement : le respect de leur droit à la participation politique et de leur vie, des programmes d’éducation et de formation, un soutien technique et le financement de projets pour que leurs membres accèdent à une vie civile productive, etc.

Mais elles doivent aussi être accueillies dans une proposition politique, une grande Alliance pour la paix, comme celle que propose Humberto de la Calle Lombana, ancien chef de la délégation de négociation de l’accord avec les farc, et ancien artisan de la constitution nationale en 1991 ; De la Calle est prêt à piloter la formation d’une grande alliance de « centre » gauche qui stoppe le projet déjà explicite de l’extrême-droite. Si cette alliance se concrétise et si le processus de paix se consolide dans le prochain gouvernement, l’avenir d’une Colombie beaucoup plus juste et en paix serait garanti pour des décennies. Là réside l’importance de cette proposition.

L’invitation politique responsable est lancée ; la tâche maintenant est que les forces politiques et sociales pour la paix comprennent son importance et que les pré-candidats abandonnent le personnalisme et/ou le caudillisme qui a été si néfaste tout au long de notre histoire.  L’attitude de certains pré-candidats qui ont rejeté d’entrée de jeu l’idée de faire partie d’une alliance qui inclurait le nouveau parti politique issu des farc-ep désarmées, est préoccupante ; cette attitude indique non seulement un manque de valorisation des multiples gestes des farc pour ratifier leur volonté de paix, en plus de leur discipline, mais elle pourra aussi diviser les forces de centre gauche et freiner les chances de succès du déroulement du processus de paix.

Traduction Annie Josse
Mars 2017

 

[i] Armée de Libération Nationale (NDT)
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