Femmes et mission en Amérique Latine

La place des femmes dans l’annonce de l’Évangile

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Être pauvre et être femme

C’est une double exclusion, pour une majorité de femmes en Amérique Latine. Triple exclusion quand s’y ajoute celle des structures ecclésiastiques qui les maintiennent dans une situation de subordination.

Dans quelle mesure cette situation traditionnelle reste-t-elle actuelle ? Quelle a été la place des femmes dans l’annonce de l’Évangile ? Quelle place leur a-t-on assigné au nom d’un rôle stéréotypé? S’agit-il seulement de leur donner une place ou de construire une société et une Église « où il n’y a plus ni juif ni grec, ni esclave ni homme libre, ni homme ni femme»?

La femme dans la société latino-américaine

La femme latino-américaine vit d’autant plus une situation subalterne et de dépendance qu’elle est pauvre, analphabète, indigène ou seule pour élever ses enfants. Reléguée dans la sphère du domestique, la tradition lui impose d’être avant tout épouse et mère, et l’exclut souvent du plein accès à l’éducation. Elle est fréquemment soumise à de multiples formes de violences, d’abus et d’exclusions. Invisible et absente, elle l’est aussi de l’histoire officielle qui a occulté son rôle.

La femme dans l’Église

Durant plusieurs siècles, la femme y a été réduite au silence et à l’invisibilité. L’indice des documents des Conférences Générales du CELAM depuis Medellin (1968) jusqu’à Aparecida (2007) ne donne, pour le mot femme, qu’une seule référence qui ne remet pas en cause son rôle traditionnel. Puebla (1979) dédie deux pages à la femme et reconnaît la nécessité de l’aider à sortir de sa situation de marginalité et d’inégalité, non sans souligner son rôle fondamental comme mère, défenseuse de la vie et éducatrice du foyer. Santo Domingo (1992) exhorte prêtres et agents pastoraux à « accepter et valoriser la femme dans la communauté ecclésiale».

« Je perçois Dieu autrement »

C’est cette perception qui permet d’annoncer Dieu d’une autre manière que celle imposée par les hommes au nom de tous. La femme latino-américaine vit une proximité avec Dieu, son Diosito, l’allié des pauvres et des exclus, disponible 24 heures sur 24 pour écouter ses souffrances et ses joies, ses demandes et ses espoirs. Elle s’identifie avec les personnages surtout féminins de la Bible.

Dispensatrice des sacrements de la vie

Les sacrements de la vie sont les choses de la vie quotidienne qu’un théologien fait parler comme signes de Dieu. En Amérique Latine, les femmes vivent au ras du quotidien, d’où leur rôle pour lui donner un sens et le faire sacrement. Les femmes sont les premières évangélisatrices de la famille, chargées de transmettre la foi, une foi simple qui perpétue la tradition, vénère les statues des saints, participe aux processions et aux fêtes patronales, fait éventuellement partie d’une confrérie et accomplit les rites religieux pour les défunts.

La femme annonce un Dieu qui accueille la vie, toute vie et la protège. Elle reçoit en son sein chaque vie même imprévue, puis l’orphelin, voire l’enfant illégal du mari, ensuite elle accueillera et défendra le fils qui a « fait des bêtises » ou se drogue.

 Les Communautés Ecclésiales de Base (CEB)

Ce sont des cellules de vie et de témoignage, l’espace propre du peuple où l’action pour l’amélioration des conditions de vie surgit de l’écoute attentive de la Parole de Dieu. C’est spécialement dans les CEB que se fait sentir la présence de la femme. Les CEB ont été et sont le lieu privilégié où elle émerge et s’affirme sans exclure d’autres lieux de la vie de l’Église.

Vivre la foi dans un engagement solidaire avec les opprimés

Des « Groupes de femmes » ont permis à plus d’une de vaincre l’isolement, de prendre la parole et d’entrer dans un processus de changement personnel, familial et social.

Des femmes se sont aussi engagées dans des Organisations communales, syndicales, paysannes ou politiques pour améliorer les conditions de vie, exiger les services de base, lutter pour la défense de son espace territorial.

Beaucoup d’entre elles sont actives dans les Organisations de familles de disparus ou de victimes du terrorisme.

Les religieuses

La vie religieuse féminine sous l’impulsion de Medellin, a procédé à une profonde autocritique et a réorienté ses services, prenant au sérieux le choix prioritaire des pauvres. La Conférence Latino Américaine des Religieux (CLAR) a joué un rôle important pour dynamiser la rénovation de la vie religieuse où les femmes sont majoritaires. Leur champ d’action s’est étendu à la défense des droits humains, les mouvements pour un développement durable, l’écologie et l’accompagnement des exclus.

Les théologiennes

Dans le domaine de la réflexion et de la production théologique, des femmes latino-américainesont pris la parole et articulé un discours avec leur sensibilité propre et leur manière de percevoir Dieu autrement, en particulier comme père et mère. La perspective des femmes se fait peu à peu une place dans la théologie en promouvant une lecture de la Bible d’un point de vue féminin et en questionnant les structures patriarcales de la société et de l’Église.

C’est un travail de rupture avec des schémas dépassés et des catégories imposées pour engendrer quelque chose de plus proche de la vie et chargé de sens pour les femmes. C’est une théologie marquée par le sens de l’humour, la joie, la célébration et la créativité, ainsi que par le retour de la dimension poétique.

Défis aux Églises chrétiennes, entre tradition et actualité

Nos églises sont-elles décidées à rompre avec un système qui maintient l’invisibilité des femmes ? Peuvent-elles réussir à intégrer la théorie et la pratique, le discours sur la femme et la pratique pastorale? Auront-elles l’audace de rompre avec leur visage trop masculin ? Les défis sont multiples pour faire advenir la communauté de disciples égauxvoulue par Jésus.

 

Anne MINGUET
Sœur de l’Éducation Chrétienne
Lima, Pérou
Septembre 2010

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