Nigeria : les évêques contre le viol

Au Nigeria, devant l’augmentation des viols, l’État, la rue et l’Église se mobilisent contre ce fléau qui touche une femme sur quatre avant ses 18 ans.

Mgr Ignatius Kaigama, archevêque d'Abuja et Mgr Alfred Adewale Martins, archevêque de Lagos. Nigeria : les évêques contre le viol

Mgr Ignatius Kaigama, archevêque d’Abuja et Mgr Alfred Adewale Martins, archevêque de Lagos.

Entre janvier et juin 2020, plus de 700 cas de viols ont été enregistrés par la police dans le pays le plus peuplé d’Afrique (plus de 210 millions d’habitants), entrainant de nombreuses manifestations citoyennes et la réaction des archevêques des deux plus grandes villes du pays. Officiellement, le pays enregistre 2.200 cas de viols chaque année mais le chiffre semble largement sous-estimé, compte tenu du fait que la majorité des victimes ne portent pas plainte car elles craignent d’être stigmatisées.

Selon Pauline Tallen, la ministre de la Condition féminine, le nombre d’abus contre les femmes et les enfants, enfermés chez eux avec leurs bourreaux, aurait triplé durant le confinement. Selon Osai Ojigho, directrice pays pour Amnesty international, « Peu importe où vous vous trouvez au Nigeria, dans le nord ou le sud, dans la ville ou en milieu rural, chrétien ou musulman, chaque femme et chaque fille est menacée de viol. Aucun lieu n’est sûr face à ce crime violent contre les femmes ».

Mais ce qui a véritablement soulevé la rue nigériane, c’est le viol et le meurtre de deux étudiantes en l’espace de trois jours, Uwaila Vera Omozuwa (22 ans) et Barakat Bello (18 ans), dans deux États différents. Uwaila Omozuwa est décédée quelques jours après son viol dans une église de Benin City dans laquelle elle venait étudier, tandis que Barakat Bello a été assassinée chez elle, dans l’État d’Oyo, après avoir été violée lors d’un cambriolage.

Dans son discours du 12 juin, qui marque au Nigeria la célébration de la démocratie, le président Muhammadu Buhari s’est déclaré « bouleversé par les récents incidents de viols, en particulier de très jeunes filles » et a indiqué que les services de sécurité suivaient les affaires et veilleraient à ce que les auteurs soient traduits en justice.

L’Église nigériane s’est à son tour engagée dans la lutte contre le viol, le qualifiant de « crime odieux », acte « barbare et criminel » et intervenant par la voix des archevêques des deux plus importantes villes du pays. Dans son homélie dominicale du 21 juin, Mgr Ignatius Ayau Kaigama, archevêque de la capitale fédérale Abuja, dénonçait « la culture du viol [comme] aussi répugnante et répréhensible que déshumanisante », tout en demandant que les auteurs de viols soient poursuivis.

Dans son homélie, le prélat ajoutait que les viols sont les symptômes « d’une société impie et dysfonctionnelle », d’un « monde malade » que les chrétiens sont appelés à aider à restaurer. Et se référant à la lettre apostolique du pape François « Vous êtes la lumière du monde », il affirmait l’impact négatif des abus sexuels sur la communauté chrétienne : « Les crimes d’abus sexuels offensent Notre Seigneur, causent des dommages physiques, psychologiques et spirituels aux victimes et nuisent à la communauté des fidèles », avant d’élargir son propos à « la corruption, la malhonnêteté, l’oppression, la luxure et de nombreux maux dans la société », dont le viol est une expression. Mgr Kaigama, s’appuyant sur des figures bibliques (Jérémie, Ananias, Azarias et Misaël, Jean-Baptiste) qui ne craignaient pas de dire la vérité face à l’opposition, a ensuite appelé les chrétiens d’Abuja et du pays à ne pas avoir pas de « s’exprimer et d’agir contre les comportements impies, l’injustice, la corruption, la politique sans moralité, la mauvaise gouvernance, etc. »

Une semaine plus tard, Mgr Alfred Adewale Martins, archevêque de Lagos, la plus grande ville nigériane, lui emboîtait le pas dans un rapport signé du directeur des communications sociales de l’archidiocèse. Il y invite les acteurs de la société à « travailler ensemble pour réprimer ce malaise social avant qu’il ne dévore tout le monde : (…) Les parents, les organismes religieux et les organisations non gouvernementales (ONG) doivent délibérément apprendre aux garçons à respecter les femmes ; les organismes gouvernementaux concernés doivent prêter attention aux contenus suggestifs qui sexualisent les filles dans les vidéos musicales et appliquer des restrictions plus strictes sur les matériels pornographiques qui sont si facilement disponibles sur Internet. » Il appelle également à faire de la justice pour les victimes et de la condamnation des auteurs une priorité, et invite tous les professionnels concernés à aider les victimes à surmonter le traumatisme.

Les gouverneurs des 36 États de la république fédérale ont par ailleurs déclaré l’état d’urgence pour le viol et toute autre forme de violence basée sur le genre contre les femmes et les enfants. Mgr Adewale Martins insiste d’ailleurs auprès des parlementaires pour que soit appliquée la loi sur les droits de l’enfant, en vue de prévenir les abus. Et il ajoute : « Le viol est un acte intrinsèquement mauvais qui est encore plus grave et condamnable lorsqu’il est infligé à des enfants soit par les parents (inceste), soit par ceux qui exercent sur eux une forme quelconque d’autorité, en particulier ceux qui sont responsables de leur éducation ».

Des prises de consciences dans la société et l’Église du Nigeria qui devraient déboucher sur davantage de vigilance dans ce pays classé comme l’un des dix plus dangereux pour les femmes, et dans lequel, selon les Nations Unies, une femme sur quatre est victime de viol avant l’âge de 18 ans.

Annie Josse
Juillet 2020

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