Croire en Dieu aujourd’hui

Sous le titre « Croire en Dieu aujourd’hui » , l’excellent mensuel Sciences Humaines, revue de bonne vulgarisation grand public, consacre le dossier de son numéro d’avril 2020 au sujet des religions en France.

Sciences Humaines. Croire en Dieu aujourd'hui

Couverture Sciences Humaines, avril 2020, Croire en Dieu aujourd’hui

Aux temps du coronavirus, nous sommes confinés à domicile. Nous pouvons sortir pour nous rendre dans les commerces indispensables : boulangerie, commerces de denrées alimentaires, pharmacie, et débit de presse… C’est que « l’homme ne vit pas que de pain ». Se cultiver, nous entretenir avec nos proches, réfléchir à l’ordre des choses : ce sont, selon le président de la République, des activités utiles en ce temps de confinement. Voilà une proposition : lire ce numéro de Sciences humaines. Une source d’information, un sujet qui donne matière à réflexion et à échanges.

Sciences Humaines consacre donc son dossier au sujet des religions en France. 21 pages pour faire le tour de la question, c’est une gageure ! On y aborde toutes les facettes de la question, rapidement certes, mais cela constituera un bon résumé des thématiques principales.

L’ambiance des mentalités collectives en France sur le sujet des religions oscille entre plusieurs pôles actuellement : la religion comme un reliquat d’un monde révolu, les religions comme porteuses de nouvelles dérives, du terrorisme islamiste aux abus d’emprise divers, le renouveau d’un catholicisme politique qui se développe plutôt à la droite de l’échiquier…

L’interview de Denis Pelletier, historien et grand spécialiste des religions, permet d’évoquer les thèmes principaux du sujet, sans imposer de clé d’interprétation définitive. L’expert montre les sujets d’intérêt plus qu’il n’explique ce qu’il voit. Il commence par mettre en garde contre une confiance trop grand et trop naïve mise dans les statistiques religieuses (croyances, pratiques diverses…). Les pratiques n’ont pas toujours le même sens d’une religion à une autre, l’exemple emblématique ici est la pratique des restrictions durant le carême/ramadan. L’historien et le sociologue attirent notre attention sur le fait que toutes les religions connaissent un pluralisme interne. Aussi faut-il se méfier des statistiques globalisantes.

Ce que l’historien est à même de mieux nous faire comprendre, c’est que nous vivons la fin d’un modèle de catholicisme mis en place après la Révolution française : magistère respecté, pratiques régulières et fortement encadrées par un clergé nombreux… ce modèle s’est effondré lors de la crise culturelle des années 1965-1985. Nous avons basculé dans une société d’individus qui fait une place prédominante à la conscience individuelle.

L’historien relativise la thèse, juste en elle-même, qui veut qu’il y ait de moins en moins de religion et de plus en plus de spiritualité. En fait, cela fait bien longtemps qu’il en va ainsi. Et il pointe le développement d’un catholicisme patrimonial : la foi catholique se transmettrait comme un héritage familial. Avec des valeurs, des symboles… c’est sur ce fond là que qu’a réémergé un catholicisme politique dans la décennie récente.

La fin de la croyance naïve dans le progrès permet aux religions, même devenues minoritaires en France, de retrouver un rôle. Rôle peut-être croissant.

Dans un monde devenu plus que jamais multipolaire, la question religieuse a retrouvé du sens. Et cela n’est pas limité à l’islam politique. Les chefs d’État des grandes puissances, Bolsonaro au Brésil, Modi en Inde, Bush Jr ou Trump aux USA, Poutine en Russie s’appuient largement sur des leviers religieux dans leur exercice du pouvoir. C’est un phénomène mondial. La religion ne revient pas, elle n’était jamais partie (sauf dans la tête des intellectuels parisiens). La religion, les religions demeurent des acteurs de la vie des sociétés, même sécularisées.

D’autres articles expliquent divers aspects de ces réalités. Par exemple, il faut signaler un bel essai pour faire comprendre aux Français la laïcité selon les États-Unis, autre pays laïc avec la France, ce que les Français ne croient jamais ! Mais une compréhension différente : aux USA, la laïcité est une protection des religions minoritaires contre une éventuelle religion officielle d’État. Alors que la laïcité française consiste à protéger l’État contre une éventuelle emprise sur l’État de la religion dominante, en l’occurrence le catholicisme, voilà pourquoi les mentalités laïques en France ont parfois des accents anticatholiques.

Un article sur le passage « de la charité à la solidarité » ne fait que pointer quelques évolutions. On aimerait en savoir un peu plus sur cette curieuse permanence d’une « charité confessionnelle » à côté d’un État-providence laïc qui devrait prendre en charge les souffrances sociales, et au sein d’une société qu’on prétend sécularisée. C’est dire que la lecture de ce dossier pose plus de questions qu’elle n’en résout. Affaire à suivre. Pour ceux qui avaient raté le premier épisode de ce débat public, lire cette revue est une bonne manière de se mettre à jour.

A qui cette revue sera-t-elle utile ? A ceux qui découvrent la France, bien sûr, et on peut penser aux nombreux prêtres fidei donum ; à ceux qui n’étaient pas vraiment intéressés par les débats autour des religions à ce jour : ce sera une excellente mise à niveau de tous les thèmes traités dans le débat public, par les spécialistes, et par les autorités publiques. Autour des questions des religions dans l’espace public, de la sécularisation, de la pluralisation des religions, de la montée de l’individualisme, des religions à la carte, des conversions et de leurs trajectoires… Pour ceux qui croient connaitre le sujet, ce sera une bonne révision des classiques.

 

Antoine Sondag,
22 mars 2020, confiné à Villejuif

Sciences Humaines, revue mensuelle, n° 324, avril 2020, 5,70 €
Croire en Dieu aujourd’hui, Panorama des religions en France