Évangélisation : Quand l’islam divise les catholiques

Sous ce titre, l’hebdomadaire La Vie a fait paraître un article le 16 mai 2018. V. Ferroldi, directeur du service des relations avec les musulmans, et A. Sondag y sont longuement interviewés…On lira avec intérêt l’ensemble de ce numéro de La Vie consacré à la mission aujourd’hui : les évangéliques sont-ils de meilleurs missionnaires que les catholiques ? la mission au XXe siècle, etc….

 

Évangélisation : Quand l'islam divise les catholiques

Évangélisation : Quand l’islam divise les catholiques

Entre une présence discrète à la suite du Concile et une volonté claire de convertir, parfois fondée sur la conception d’un islam intrinsèquement mauvais, le comportement missionnaire en terre d’islam fait l’objet de divergences.

Le père Antoine Sondag, ne mâche pas ses mots : « Le prosélytisme est à bannir, estime le responsable de la Mission universelle de l’Église à la Conférence des évêques de France. L’évangélisation exclut toute attitude arrogante. » D’ailleurs, estime son collègue Vincent Feroldi, directeur du Service national pour les relations avec les musulmans, les catholiques présents dans les pays à majorité islamique «témoignent joyeusement de leur foi, tout en dialoguant avec les croyants d’une autre religion».

La question n’a pas toujours paru si simple. « Entre 1850 et 1960, le monde missionnaire s’est interrogé sur l’accueil des enfants musulmans dans ses écoles, rappelle Chantal Verdeil, qui enseigne l’histoire du Moyen-Orient à l’Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco). Certains craignaient le risque de perversion des établissements. D’autres, au contraire, voyaient un moyen de donner à ces jeunes une bonne image du catholicisme. Et d’ouvrir une voie vers la conversion. »

Le débat change de nature avec Vatican II. Selon la déclaration Nostra aetate, « l’Église catholique ne rejette rien de ce qui est vrai et saint » dans les autres religions. « Même si, au cours des siècles, de nombreuses dissensions et inimitiés se sont manifestées entre les chrétiens et les musulmans, le saint Concile les exhorte tous à oublier le passé et à s’efforcer sincèrement à la compréhension mutuelle, ainsi qu’à protéger et à promouvoir ensemble, pour tous les hommes, la justice sociale, les valeurs morales, la paix et la liberté. » En Algérie, par exemple, les prêtres, religieuses et religieux s’engagent dans l’éducation, la santé ou le développement économique. Si les célébrations catholiques attirent, ce sont souvent des migrants chrétiens en route vers la rive nord de la Méditerranée.

Mais que répondre à un musulman qui désire suivre Jésus ? Si tout demandeur est accueilli et accompagné, le parcours menant au baptême demeure conditionné par les règlements locaux. « La conversion est interdite au Maroc, et donc l’Église catholique la refuse », reconnaît le père Feroldi. Le baptême est possible en Algérie et Tunisie, même si les pressions de la société et des familles rendent la vie très difficile aux nouveaux chrétiens.

Cette difficulté de cohabitation fait le lit d’une autre attitude missionnaire, moins accommodante. Certains catholiques, observe Antoine Sondag, « jugent l’islam intrinsèquement mauvais, désirent apporter le « vrai Dieu » et confondent évangélisation avec conquête et croisades ». Il voit dans ce phénomène, minoritaire mais porté par des courants très dynamiques sur les réseaux sociaux, un symptôme des divergences qui traversent le catholicisme français. « Des groupes semblent vouloir, sur le dos de l’islam, régler des comptes et exprimer leur ras-le-bol de Vatican II ou de la spiritualité de l’enfouissement. »

« Nous sommes trop timides », affirme pour sa part François Jourdan, prêtre et eudiste, dont deux ouvrages viennent de ressortir en un volume aux éditions du Toucan sous le titre Islam et Christianisme, comprendre les différences de fond. Pour cet islamologue, « il faut s’expliquer vraiment sur notre manière de voir Dieu et ne pas se contenter d’échanger autour des domaines pratiques de la vie commune. C’est plus difficile, mais il faut se parler en vérité. Dans un climat de confiance et d’amitié, mais en restant ferme ». Selon lui, la faible connaissance de l’islam par les catholiques pose un grave problème. « Comme nous ne sommes pas prêts, et les musulmans encore moins, on se contente d’un dialogue de salon, faussement consensuel, depuis des années. » La charge est sévère de la part d’un homme qui fut jadis responsable des relations avec l’islam du diocèse de Paris et enseignant aux Instituts catholiques de Paris et de Toulouse.

Il faut se parler en vérité. Dans un climat de confiance et d’amitié, mais en restant ferme.

La galaxie des catholiques rêvant de multiplier les conversions en France et dans le monde musulman se retrouve régulièrement aux forums Jésus le Messie. Portées par l’association Dialogue et Annonce, ces rencontres s’adressent à « des convertis venus de l’islam et à des groupes ou associations qui œuvrent pour l’accueil et l’évangélisation des musulmans » et se donnent pour objectif « d’appeler l’attention de l’Église, du monde politique et du monde musulman sur la situation des musulmans qui deviennent chrétiens ». Dans la même galaxie, on trouve les Missionnaires de la Miséricorde divine, installés dans le diocèse de Toulon, qui prônent « l’évangélisation directe, particulièrement auprès des musulmans ».

La difficulté du vivre-ensemble dans un monde marqué par la diversité culturelle et religieuse est admise par tous. Mais accueillir ou inciter à la conversion reste le point d’achoppement. S’il reconnaît que l’Église a longtemps minimisé le phénomène, Antoine Sondag voit dans la décision de changer de religion « une solution trouvée à l’issue d’un cheminement personnel. Nous devons l’envisager comme un rapprochement de Dieu, plus que l’adhésion à un club. Le mystère divin est plus grand que nos petites stratégies. » Enfin à ceux qui pensent que « l’islam est le problème », le responsable des missions de l’Église catholique de France répond que « la solution n’est pas la conversion d’un milliard de musulmans ».

Philippe Clanché
 © Malesherbes Publications