Basta les fake news !

Les évêques des Philippines ont publié une exhortation contre les fake news, c’est-à-dire les fausses informations, la désinformation, l’intoxication… ces évêques parlent en connaissance de cause : depuis l’élection de Rodrigo Duterte à la présidence, les Philippines vivent avec un président, et ce dès avant l’élection de Donald Trump à la Maison blanche, qui manie avec beaucoup de démagogie ce que les journalistes ont appelé les « fake news » et qui a ouvert la voie au régime de post-vérité dans lequel nous nous trouvons. Résumons : les fausses informations font jeu égal avec les informations de journalistes, celles qui subissent l’épreuve de la vérification (« fact checking » dans le jargon des écoles de journalisme)… les campagnes d’intoxication sont cautionnées par les plus hautes autorités. Accusées de mensonge ou de désinformation, celles-ci répliquent qu’il s’agit simplement d’une vision alternative de la réalité. Ce type de manipulation ruine la confiance que l’opinion peut et doit avoir dans les élites, les journalistes, le système médiatique, les autorités… cela fait le lit du populisme. Les réseaux sociaux se font les messagers de ces vérités alternatives et fausses informations. Aux Philippines, les conséquences sont désastreuses : une prétendue campagne contre les revendeurs de drogue a déjà fait des milliers de victimes brutalement assassinées sous la raison ou le prétexte qu’il faut se débarrasser des vendeurs de drogue. Cette présentation alternative des faits se traduit par des exécutions extra-judiciaires, par des milliers de morts, qui ne sont pas tous des vendeurs de drogue, parfois simplement des usagers, parfois des personnes sans lien avec la drogue. Le tout est présenté comme une vision alternative de la société… et ceux qui ne sont pas d’accord sont traités de « fils de pute » par le Président (dans cette catégorie, ont été insultés aussi bien le président Obama que les députés d’opposition, les évêques du pays, le pape François et quelques autres)…
Il semble que cette lettre des évêques des Philippines soit le premier document du Magistère de l’Église catholique à aborder ce phénomène nouveau du régime de la post-vérité, de la manipulation de l’information… tous phénomènes qui ont été largement popularisés lors de l’élection de D. Trump. Pour son malheur, les Philippines avaient anticipé cette vague avec l’élection de R. Duterte. Lutter contre la désinformation et les fake news
n’est pas réservé à ces deux pays. Cela concerne aussi l’Europe et la France. Merci aux évêques des Philippines pour ce texte !

Antoine Sondag
juin 2017

Fake news

“Basta les fake news !”

Frères et sœurs en Christ,

Une dimension clé de la mission de Jésus était de prêcher la vérité et, dans sa prière, il priait pour que ses disciples fussent consacrés dans la vérité. Nous, la nation philippine, faisons partie de la communauté des disciples pour lesquels il a prié. Lors de son procès, la question de la vérité figurait en bonne place. « Qu’est-ce que la vérité ? » demanda un Pilate déconcerté, parce qu’il ne reconnaissait pas en Jésus, la vérité !

C’est ainsi que le chrétien ne peut faire du faux, de la tromperie et du mensonge. Quel que soit le fait, il concerne tout ce qui se passe ou qui se produit. Si un homme tue un autre, on ne peut nier le fait que le mal ait été commis ; tout « fait alternatif » (2) qui nierait ce meurtre est tout simplement faux. Et lorsqu’il est destiné à tromper, il est mensonge !

Le devoir de dire la vérité est une exigence si élémentaire de la morale et du bon ordre social qu’il ne peut guère être réduit à des préceptes plus élémentaires. C’est presque aussi fondamental que le premier principe de toute moralité : « Faites le bien, évitez le mal ». La vie humaine serait intenable dans une société où nous nous trompons mutuellement de manière constante et habituelle.

Les décisions cruciales – personnelles et sociales – dépendent de la compréhension exacte des faits. Les « faits alternatifs » et les « fausses informations » engendrent à maintes reprises des décisions erronées, aux conséquences désastreuses à long terme, tant pour les personnes que pour les communautés. Malheureusement, c’est ce qui se passe aujourd’hui. Il y a des personnes qui se sont données pour mission de rapporter ce qui ne s’est jamais passé, dissimulant ainsi la réalité et déformant ce qui devrait être réellement présenté.

Le devoir de dire la vérité est une exigence de la morale et du bon ordre social

L’implication active des citoyens dans la création d’une société nourricière, imprégnée de justice, dépend de la vérité. C’est la mission à laquelle les médias sont appelés. C’est la raison pour laquelle nous avons des écoles, des collèges et des universités. C’est pourquoi l’enseignement est une profession noble. C’est pourquoi les livres et les magazines, les revues et les articles sont publiés.

Les médias sociaux promettaient au départ de démocratiser l’expression et de libérer la diffusion de la vérité, des griffes des entrepreneurs argentés qui financent les médias traditionnels. Cependant, ils sont devenus le malheureux foyer des « faits alternatifs » et des « fausses informations ». Non seulement ceci entrave l’orientation de l’intellect humain vers la vérité, mais il s’agit plus fondamentalement, d’un péché contre la charité ; car la désinformation empêche les gens de prendre des décisions justes et judicieuses et les conduit plutôt à commettre des erreurs !

Notre foi catholique nous oblige à :

  1. Nous abstenir de favoriser, populariser et soutenir les sources identifiées de « faits alternatifs » ou de « fausses informations ».
  2. Refuser et réfuter le mensonge chaque fois qu’il travestit des faits et des données.
  3. Refuser d’être nous-mêmes sources de fausses nouvelles et de ne pas en divulguer, que ce soit dans les médias sociaux, par le bouche-à-oreille ou par toute autre forme d’expression publique.
  4. Identifier les sources de désinformation et en informer dûment nos frères et sœurs afin qu’ils puissent connaître les médias et les sites à éviter.

Nous, vos évêques, rejoignons le Seigneur Jésus dans sa prière pour que nous soyons tous consacrés dans la vérité, parce que la parole du Seigneur est vérité !

 

Exhortation pastorale de la Conférence des évêques philippins contre les « fake news »
21 juin 2017

 

 

(1) Fake news : fausses informations, désinformation, intoxication.
(2) Une affirmation alternative opposée à la réalité et niant ou occultant cette dernière afin de leurrer l’opinion.
(*) Traduction française de Kinda Elias pour La DC.
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